débris de
l'association bretonne, et sa voix retentissait encore de temps à autre
dans la salle des États, pour protester contre l'envahissement de l'ancien
domaine des Riches ducs par les gens du roi de France.
Il avait nom Nicolas Treml de La Tremlays, seigneur de
Boüexis-en-Forêt, et possédait, à une demi-lieue du bourg de Liffré, un
domaine qui le faisait suzerain de presque tout le pays.
Son château de La Tremlays était l'un des plus beaux qui fût dans la
Haute-Bretagne; son manoir de Bouëxis n'était guère moins magnifique.
Il fallait deux heures pour se rendre de l'un à l'autre, et tout le long du
chemin on marchait sur la terre de Treml.
M. Nicolas, comme on l'appelait, était un vieillard de grande taille et
d'austère physionomie. Ses longs cheveux blancs tombaient en mèches
éparses sur le drap grossier de son pourpoint coupé à l'ancienne mode.
L'âge n'avait point modéré la fougue de son sang. À le voir droit et
ferme sur la selle, lorsqu'il chevauchait sous la futaie, les gens de la
forêt se sentaient le coeur gaillard et disaient:
--Tant que vivra notre monsieur, il y aura un Breton dans la Bretagne,
et gare aux sangsues de Paris.
Ils disaient vrai. Le patriotisme de Nicolas Treml était aussi
indomptable qu'exclusif. La décadence graduelle du parti de
l'indépendance, loin de lui être un enseignement, n'avait fait que grandir
son obstination. D'année en année, ses collègues des États écoutaient
avec moins de faveur ses rudes protestations; mais il protestait toujours,
et c'était la main sur la garde de son épée qu'il fulminait ses menaçantes
diatribes contre le représentant de la couronne.
Un jour, pendant qu'il parlait, messieurs de la noblesse se prirent à rire
et plusieurs voix murmurèrent:
--Décidément, monsieur Nicolas a perdu la tête.
Il s'arrêta tout à coup: une grande pâleur monta jusqu'à son front; son
oeil lança un éclair. Il se couvrit et gagna lentement la porte. Sur le
seuil il croisa ses bras et envoya au banc de la noblesse un long regard
de défi.
--Je remercie Dieu, dit-il d'une voix lente et durement accentuée qui
pénétra jusqu'aux extrémités de la salle, je remercie Dieu de n'avoir
perdu que la tête, quand messieurs mes amis, eux, ont perdu le coeur.
À ce sanglant outrage vous eussiez vu bondir sur leurs sièges tous ces
fiers gentilshommes. Vingt rapières furent à l'instant dégainées. Nicolas
Treml ne bougea pas.
--Laissez là vos épées, reprit-il. Moi aussi, je fus insulté; pourtant je me
retire. Ce n'est point du sang breton qu'il faut à ma colère. Adieu,
messieurs. Je prie Dieu que vos enfants oublient leurs pères et se
souviennent de leurs aïeux. Je me sépare de vous et je vous renie. Vous
avez mis la Bretagne au tombeau; moi, je mettrai du sang sur le
tombeau de la Bretagne. Quand il n'est plus temps de combattre, il est
temps encore de se venger et de mourir.
M. de La Tremlays monta sur son bon cheval et prit la route de son
domaine.
Ceux qui le rencontrèrent en chemin, ce jour-là, ne purent deviner les
pensées qui se pressaient dans son esprit. Robuste de coeur autant que
de corps, il savait garder au-dedans de lui sa colère. Son front restait
calme, son regard errait, vague et indifférent, sur le plat paysage des
environs de Rennes.
Lorsqu'il entra sous le couvert de la forêt, le soleil baissait à l'horizon.
M. de La Tremlays contempla plus d'une fois avec convoitise les
retranchements naturels et imprenables qu'offrait à chaque pas le sol
vierge; il comptait involontairement ces hommes vigoureux et vaillants
qui le saluaient de loin avec une respectueuse affection.
--La guerre, pensait-il, pourrait être terrible avec ces soldats et ces
retraites.
Il arrêtait son cheval et devenait rêveur. Mais bientôt une idée
tyrannique fronçait ses sourcils grisonnants. Il se redressait et son oeil
brillait d'un sauvage éclat.
--Point de guerre! disait-il alors. Un duel! Un seul coup, une seule
mort!
Et M. de La Tremlays, enfonçant ses éperons dans les flancs de son
cheval, combinait un de ces plans dont l'extravagante hardiesse amène
le sourire sur les lèvres des hommes de bon sens, et que le succès peut à
peine sanctionner: un plan audacieux, chevaleresque, mais impossible
et fou, dont l'idée ne pouvait germer que dans un cerveau de
gentilhomme campagnard, ignorant le monde et toisant la prose du
présent à la poétique mesure du passé.
Il ne faudrait point pourtant se méprendre et taxer Nicolas Treml de
démence, parce que son entreprise dépassait les bornes du possible. Il le
savait et son enthousiasme ne lui cachait point la profondeur de l'abîme.
Mais c'est un de ces hommes à cervelle de bronze, qui voient le
précipice ouvert et ne s'arrêtent point pour si peu en chemin.
Une seule circonstance eût pu le faire hésiter. La maison
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