agité du petit enfant, «triste comme un jeune
roi»! Il nous enlace et nous emporte où il lui plaît, jusqu'au fond des
abîmes où tournoie «le cadavre décomposé de l'agneau d'Alladine»,--et
plus loin, jusque dans les obscures et pures régions où des amants
disent: «Que tu m'embrasses gravement....--Ne ferme pas les yeux
quand je t'embrasse ainsi.... Je veux voir les baisers qui tremblent dans
ton coeur; et toute la rosée qui monte de ton âme... nous ne trouverons
plus de baisers comme ceux-ci...--Toujours, toujours!... --Non, non: on
ne s'embrasse pas deux fois sur le coeur de la mort....» A de si beaux
soupirs toute objection devient muette; on se tait d'avoir senti un
nouveau mode d'aimer et de dire son amour. Nouveau, vraiment; M.
Maeterlinck est très lui-même, et pour rester entièrement personnel, il
sait être monocorde: mais cette seule corde, il en a semé, roui, teillé le
chanvre, et elle chante douce, triste et unique sous ses languissantes
mains. Il a réussi une oeuvre vraie; il a trouvé un cri sourd inentendu,
Une sorte de gémissement frileusement mystique.
Mysticisme, ce mot a pris en ces dernières années tant de sens les plus
divers et même divergents qu'il faudrait le définir à nouveau et
expressément chaque fois qu'on va l'écrire. Certains lui donnent une
signification qui le rapprocherait de cet autre mot qui semble clair,
individualisme; et il est certain que cela se touche, puisque le
mysticisme peut être dit l'état dans lequel une âme, laissant aller le
monde physique et dédaigneuse des chocs et des accidents, ne s'adonne
qu'à des relations et à des intimités directes avec l'infini; or, si l'infini
est immuable et un, les âmes sont changeantes et plusieurs: une âme n'a
pas avec Dieu les mêmes entretiens que ses soeurs, et Dieu, quoique
immuable et un, se modifie selon le désir de chacune de ses créatures et
il ne dit pas à l'une ce qu'il vient de dire à l'autre. Le privilège de l'âme
élevée au mysticisme est la liberté; son corps même n'est pour elle
qu'un voisin auquel elle donne à peine le conseil amical du silence,
mais s'il parle elle ne l'entend qu'à travers un mur, et s'il agit elle ne le
voit agir qu'à travers un voile. Un autre nom a été donné,
historiquement, à un tel état de vie: quiétisme; cette phrase de M.
Maeterlinck est bien d'un quiétiste, qui nous montre Dieu souriant «à
nos fautes les plus graves comme on sourit au jeu des petits chiens sur
un tapis». Elle est grave, mais elle est vraie si l'on songe à ce peu de
chose qu'est un fait et comment un fait se produit et comment nous
sommes entraînés par la chaîne sans fin de l'Action et combien peu
nous participons réellement à nos actes les plus décisifs et les mieux
motivés. Une telle morale, laissant aux misérables lois humaines le soin
des jugements inutiles, arrache à la vie l'essence même de la vie et la
transporte en des régions supérieures où elle fructifie à l'abri des
contingences, et des plus humiliantes, qui sont les contingences
sociales. La morale mystique ignore donc toute oeuvre qui n'est point
marquée à la fois du double sceau humain et divin; aussi fut-elle
toujours redoutée des clergés et des magistratures, car niant toute
hiérarchie d'apparence, elle nie, au moins par abstention, tout l'ordre
social: un mystique peut consentir à tous les esclavages, mais non à
celui d'être un citoyen. M. Maeterlinck voit venir des temps où les
hommes se comprendront d'âme à âme, comme les mystiques se
comprennent d'âme à Dieu. Est-ce vrai? Les hommes seront-ils un jour
des hommes, des Êtres libres et si fiers qu'ils n'admettront d'autres
jugements que les jugements de Dieu? M. Maeterlinck aperçoit cette
aurore, parce qu'il regarde en lui-même et qu'il est lui-même une aurore,
mais s'il regardait l'humanité extérieure, il ne verrait que l'immonde
appétit socialiste des anges et des étables. Les humbles, pour qui il a
écrit divinement, ne liront pas son livre, et s'ils le lisaient, ils n'y
verraient qu'une dérision, car ils ont appris que l'idéal est une
mangeoire et ils savent que s'ils levaient les yeux vers Dieu, leurs
maîtres les fouetteraient.
Ainsi le Trésor des Humbles, ce livre d'amour et de libération, me fait
songer avec amertume à la misérable condition de l'homme
d'aujourd'hui--et sans doute de tous les temps possibles,
Magnifique mais qui sans espoir se délivre
Pour n'avoir pas chanté la
région où vivre
Quand du stérile hiver a resplendi l'ennui.
Et ce sera en vain que
Tout son col secouera cette blanche agonie,
l'heure de la délivrance sera passée et quelques-uns seulement l'auront
entendue sonner.
Pourtant, que de moyens de salut dans ces pages où M. Maeterlinck,
disciple de Ruysbroeck, de Novalis, d'Emerson et d'Hello, ne
demandant à ces supérieurs esprits (dont les deux
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