hors de la galerie, des absents notoires, qu'une occasion nous
ramènera; il y a des cadres vides et aussi des places nues; quant aux
portraits mêmes, si quelques-uns les jugent incomplets et trop brefs,
nous répondrons les avoir voulus ainsi, n'ayant la prétention que de
donner des indications, que de montrer, d'un geste du bras, la route.
Enfin, pour rejoindre aujourd'hui à hier, nous avons intercalé, parmi les
figures nouvelles, des faces connues: et alors, au lieu de récrire une
physionomie familière à beaucoup, on a cherché à mettre en lumière,
plutôt que l'ensemble, tel point obscur.
Les renseignements bibliographiques de l'Appendice, aussi précis que
possible, sont là pour ajouter à ce tome de littérature, qui se glorifie
d'abord des insignes masques de M.F. Vallotton, un petit intérêt
documentaire.
R.G.
MAURICE MAETERLINCK
De la vie vécue par des êtres douloureux qui se meuvent dans le
mystère d'une nuit. Ils ne savent rien que souffrir, sourire, aimer; quand
ils veulent comprendre, l'effort de leur inquiétude devient de l'angoisse
et leur révolte s'évanouit en sanglots. Monter, monter toujours les
dolentes marches du calvaire et se heurter le front à une porte de fer:
ainsi monte soeur Ygraine, ainsi monte et se heurte à la cruauté de la
porte de fer chacune des pauvres créatures dont M. Maeterlinck nous
dévoile les simples et pures tragédies.
En d'autres temps le sens de la vie fut connu; alors les hommes
n'ignoraient rien d'essentiel, puisqu'ils savaient le but de leur voyage et
en quelle dernière auberge se trouvait le lit du repos. Quand, par la
Science même, cette science élémentaire leur eut été enlevée, les uns se
réjouirent, se croyant allégés d'un fardeau; les autres se lamentèrent,
sentant bien que pardessus tous les autres fardeaux de leurs épaules on
en avait jeté un, à lui tout seul plus lourd que le reste: le fardeau du
Doute.
De cette sensation toute une littérature est née, littérature de douleur, de
révolte contre le fardeau, de blasphèmes contre le Dieu muet. Mais,
après la furie des cris et des interrogations, il y eut une rémittence, et ce
fut la littérature de la tristesse, de l'inquiétude et de l'angoisse; la
révolte a été jugée inutile et puérile l'imprécation: assagie par de vaines
batailles, l'humanité lentement se résigne à ne rien savoir, à ne rien
comprendre, à ne rien craindre, à ne rien espérer,--que de très lointain.
Il y a une île quelque part dans les brouillards, et dans l'île il y a un
château, et dans le château il y a une grande salle éclairée d'une petite
lampe, et dans la grande salle il y a des gens qui attendent. Ils attendent
quoi? Ils ne savent pas. Ils attendent que l'on frappe à la porte, ils
attendent que la lampe s'éteigne, ils attendent la Peur, ils attendent la
Mort. Ils parlent; oui, ils disent des mots qui troublent un instant le
silence, puis ils écoutent encore, laissant leurs phrases inachevées et
leurs gestes interrompus. Ils écoutent, ils attendent. Elle ne viendra
peut-être pas? Oh! elle viendra. Elle vient toujours. Il est tard, elle ne
viendra peut-être que demain. Et les gens assemblés dans la grande
salle sous la petite lampe se mettent à sourire et ils vont espérer. On
frappe. Et c'est tout; c'est toute une vie, c'est toute la vie.
En ce sens, les petits drames de M. Maeterlinck, si délicieusement
irréels, sont profondément vivants et vrais; ses personnages, qui ont
l'air de fantômes, sont gonflés de vie, comme ces boules qui semblent
inertes et qui, chargées d'électricité, vont fulgurer au contact d'une
pointe; ils ne sont pas des abstractions, mais des synthèses; ils sont des
états d'âme ou, plus encore, des états d'humanité, des moments, des
minutes qui seraient éternelles: en somme ils sont réels, à force
d'irréalité.
Une telle sorte d'art fut pratiquée jadis, à la suite du Roman de la Rose,
par de pieux romanciers qui firent, en des livrets d'une gaucherie
prétentieuse, évoluer des abstractions et des symboles. Le Voyage d'un
nommé Chrétien (The Pilgrims Progress), de Bunyan, le Voyage
spirituel, de l'espagnol Palafox, le Palais de l'Amour divin, d'un
inconnu, ne sont pas oeuvres totalement méprisables, mais les choses y
sont vraiment trop expliquées et les personnages y portent des noms
vraiment trop évidents. Voit-on sur quelque théâtre libre un drame joué
entre des êtres qui se nomment Coeur, Haine, Joie, Silence, Souci,
Soupir, Peur, Colère et Pudeur! L'heure de tels amusements est passée
ou n'est pas revenue: ne relisez pas le Palais de l'Amour divin; lisez la
Mort de Tintagiles, car c'est à l'oeuvre nouvelle qu'il faut demander ses
plaisirs esthétiques, si on les veut complets, poignants et enveloppants.
M. Maeterlinck, vraiment, nous prend, nous point et nous enlace,
pieuvre faite des doux cheveux des jeunes princesses endormies, et au
milieu d'elles le sommeil
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