mort!
À ce moment, un facteur entra dans la boutique et remit une lettre à la
fruitière en disant:
-- Pour M. Charlemagne... Affranchie... rien à payer.
-- Tiens, dit Rose-Pompon, c'est pour le petit vieux si mystérieux, qui a
des allures si extraordinaires. Est-ce que cela vient de loin?...
-- Je crois bien, ça vient d'Italie, de Rome, dit Nini-Moulin en regardant
à son tour la lettre que la fruitière tenait à la main.
-- Ah çà, ajouta-t-il, qu'est-ce donc que cet étonnant petit vieux dont
vous parlez?
-- Figurez-vous, mon gros apôtre, dit Rose-Pompon, un vieux
bonhomme qui a deux chambres au fond de la cour; il n'y couche
jamais, et il vient s'y renfermer de temps en temps pendant des heures
sans laisser monter personne chez lui... et sans qu'on sache ce qu'il y
fait.
-- C'est un conspirateur ou un faux-monnayeur... dit Nini-Moulin en
riant.
-- Pauvre cher homme! dit la mère Arsène, où serait-elle donc, sa
fausse monnaie? il me paye toujours en gros sous le morceau de pain et
le radis noir que je lui fournis pour son déjeuner, quand il déjeune.
-- Et comment s'appelle ce mystérieux caduc?... demanda Dumoulin.
-- M. Charlemagne, dit la fruitière. Mais tenez... quand on parle du loup
on en voit la queue.
-- Où est-elle donc cette queue?
-- Tenez... ce petit vieux, là-bas... le long de la maison; il marche le cou
de travers avec son parapluie sous son bras.
-- M. Rodin! s'écria Nini-Moulin; et se reculant brusquement, il
descendit en hâte trois marches de l'escalier, afin de n'être pas vu. Puis
il ajouta:
-- Et vous dites que ce monsieur s'appelle?...
-- M. Charlemagne... Est-ce que vous le connaissez? demanda la
fruitière.
-- Que diable vient-il faire ici sous un faux nom? dit Jacques Dumoulin
à voix basse en se parlant à lui-même.
-- Mais vous le connaissez donc? reprit Rose-Pompon avec impatience.
Vous voilà tout interdit.
-- Et ce monsieur a pour pied-à-terre deux chambres dans cette maison?
et il vient mystérieusement? dit Jacques Dumoulin de plus en plus
surpris.
-- Oui, reprit Rose-Pompon, on voit ses fenêtres du colombier de
Philémon.
-- Vite! vite! passons par l'allée; qu'il ne me rencontre pas, dit
Dumoulin.
Et, sans avoir été aperçu de Rodin, il passa de la boutique dans l'allée,
et de l'allée monta l'escalier qui conduisait à l'appartement occupé par
Rose-Pompon.
-- Bonjour, monsieur Charlemagne, dit la mère Arsène à Rodin qui
s'avançait alors sur le seuil de la porte, vous venez deux fois en un jour,
à la bonne heure, car vous êtes joliment rare.
-- Vous êtes trop honnête, ma chère dame, dit Rodin avec un salut fort
courtois. Et il entra dans la boutique de la fruitière.
II. Le réduit.
La physionomie de Rodin, lorsqu'il était entré chez la mère Arsène,
respirait la simplicité la plus candide; il appuya ses deux mains sur la
pomme de son parapluie et lui dit:
-- Je regrette bien, ma chère dame, de vous avoir éveillée ce matin de
très bonne heure...
-- Vous ne venez pas assez souvent, mon digne monsieur, pour que je
vous fasse des reproches.
-- Que voulez-vous, chère dame! j'habite la campagne, et je ne peux
venir que de temps à autre dans ce pied-à-terre pour y faire mes petites
affaires.
-- À propos de ça, monsieur, la lettre que vous attendiez hier est arrivée
ce matin; elle est grosse et vient de loin. La voilà, dit la fruitière en la
tirant de sa poche, elle n'a pas coûté de port.
-- Merci, ma chère dame, dit Rodin en prenant la lettre avec une
indifférence apparente; et il la mit dans la poche de côté de sa redingote,
qu'il reboutonna ensuite soigneusement.
-- Allez-vous monter chez vous, monsieur?
-- Oui, ma chère dame.
-- Alors je vais m'occuper de vos petites provisions, dit mère Arsène.
Est-ce toujours comme à l'ordinaire, mon digne monsieur?
-- Toujours comme à l'ordinaire.
-- Ça va être prêt en un clin d'oeil. Ce disant, la fruitière prit un vieux
panier; après y avoir jeté trois ou quatre mottes à brûler, un petit fagotin
de cotrets, quelques morceaux de charbon, elle recouvrit ces
combustibles d'une feuille de chou, puis, allant au fond de sa boutique,
elle tira d'un bahut un gros pain rond, en coupa une tranche, et choisit
ensuite d'un oeil connaisseur un magnifique radis noir parmi plusieurs
de ces racines, le divisa en deux, y fit un trou qu'elle remplit de gros sel
gris, rajusta les deux morceaux et les plaça soigneusement auprès du
pain, sur la feuille de chou qui séparait les combustibles des
comestibles. Prenant enfin à son fourneau quelques charbons allumés,
elle les mit dans un petit sabot rempli de cendres qu'elle posa aussi dans
le panier.
Remontant alors jusqu'à la dernière
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