Le juif errant - Tome II | Page 7

Eugène Süe
triste, plus mis��rable. Un papier tellement ��raill��, pass��, d��chir��, que l'on ne pouvait reconna?tre sa nuance primitive, couvrait les murailles; un lit de sangle boiteux, garni d'un mauvais matelas et d'une couverture de laine mang��e par les vers, un tabouret, une petite table de bois vermoulu, un po��le de fa?ence grisatre aussi _craquel��e _que la porcelaine de Japon, une vieille malle �� cadenas plac��e sous son lit, tel ��tait l'ameublement de ce taudis d��labr��. Une ��troite fen��tre aux carreaux sordides ��clairait �� peine cette pi��ce enti��rement priv��e d'air et de jour par la hauteur du batiment qui donnait sur la rue; deux vieux mouchoirs �� tabac attach��s l'un �� l'autre avec des ��pingles, et qui pouvaient �� volont�� glisser sur une ficelle tendus devant la fen��tre, servaient de rideaux; enfin le carrelage disjoint, rompu, laissant voir le platre du plancher, t��moignait de la profonde incurie du locataire de cette demeure.
Apr��s avoir ferm�� sa porte, Rodin jeta son chapeau et son parapluie sur le lit de sangle, posa par terre son panier, en tira le radis noir et le pain, qu'il pla?a sur la table; puis s'agenouillant devant son po��le, il le bourra de combustible et l'alluma en soufflant d'un poumon puissant et vigoureux sur la braise apport��e dans un sabot. Lorsque, selon l'expression consacr��e, son po��le _tira, _Rodin alla ��tendre sur leur ficelle les deux mouchoirs �� tabac qui lui servaient de rideaux; puis, se croyant bien cel�� �� tous les yeux, il tira de la poche de c?t�� de sa redingote la lettre que la m��re Ars��ne lui avait remise. En faisant ce mouvement, il amena plusieurs papiers et objets diff��rents; l'un de ces papiers, gras et froiss��, pli�� en petit paquet, tomba sur une table et s'ouvrit; il renfermait une croix de la L��gion d'honneur en argent noirci par le temps, le ruban rouge de cette croix avait presque perdu sa couleur primitive.
�� la vue de cette croix, qu'il remit dans sa poche avec la m��daille dont Faringhea avait d��pouill�� Djalma, Rodin haussa les ��paules en souriant d'un air m��prisant et sardonique; puis il tira sa grosse montre d'argent et la pla?a sur la table �� c?t�� de la lettre de Rome. Il regardait cette lettre avec un singulier m��lange de d��fiance et d'espoir, de crainte et d'impatiente curiosit��. Apr��s un moment de r��flexion, il s'appr��tait �� d��cacheter cette enveloppe... Mais il la rejeta brusquement sur la table, comme si, par un ��trange caprice, il e?t voulu prolonger de quelques instants l'angoisse d'une incertitude aussi poignante, aussi irritante que l'��motion du jeu. Regardant sa montre, Rodin r��solut de n'ouvrir la lettre que lorsque l'aiguille marquerait neuf heures et demie; il s'en fallait alors de sept minutes. Par une de ces bizarreries pu��rilement fatalistes, dont de tr��s grands esprits n'ont pas ��t�� exempts, Rodin se disait:
-- Je br?le du d��sir d'ouvrir cette lettre; si je ne l'ouvre qu'�� neuf heures et demie, les nouvelles qu'elle m'apporte seront favorables.
Pour employer ces minutes, Rodin fit quelques pas dans sa chambre, et alla se placer, pour ainsi dire, en contemplation devant deux vieilles gravures jaunatres, rong��es de v��tust��, attach��es au mur par des clous rouill��s.
Le premier de ces _objets d'art, _seuls ornements dont Rodin e?t jamais d��cor�� ce taudis, ��tait une de ces images grossi��rement dessin��es et enlumin��es de rouge, de jaune, de vert et de bleu que l'on vend dans les foires; une inscription italienne annon?ait que cette gravure avait ��t�� fabriqu��e �� Rome. Elle repr��sentait une femme couverte de guenilles, portant une besace et ayant sur ses genoux un petit enfant, une horrible diseuse de bonne aventure tenait dans ses mains la main du petit enfant, et semblait y lire l'avenir, car ces mots sortaient de sa bouche en grosses lettres bleues: _Sar�� papa _(il sera pape).
Le second de ces objets d'art qui semblaient inspirer les profondes m��ditations de Rodin ��tait une excellente gravure en taille-douce dont le fini pr��cieux, le dessin �� la fois hardi et correct contrastaient singuli��rement avec la grossi��re enluminure de l'autre image. Cette rare et magnifique gravure, pay��e par Rodin six louis (luxe ��norme), repr��sentait un jeune gar?on v��tu de haillons. La laideur de ses traits ��tait compens��e par l'expression spirituelle de sa physionomie vigoureusement caract��ris��e; assis sur une pierre, entour�� ?�� et l�� d'un troupeau qu'il gardait, il ��tait vu de face, accoud�� sur son genou, et appuyant son menton dans la paume de sa main. L'attitude pensive, r��fl��chie de ce jeune homme v��tu comme un mendiant, la puissance de son large front, la finesse de son regard p��n��trant, la fermet�� de sa bouche rus��e, semblaient r��v��ler une indomptable r��solution jointe �� une intelligence sup��rieure et �� une astucieuse adresse. Au-dessous de cette figure, les attributs pontificaux s'enroulaient autour d'un m��daillon au centre duquel se voyait une t��te de vieillard dont les lignes, fortement
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