Le juif errant - Tome II | Page 8

Eugène Süe
accentu��es, rappelaient d'une mani��re frappante, malgr�� leur s��nilit��, les traits du jeune gardeur de troupeaux.
Cette gravure portait enfin pour titre: LA JEUNESSE DE SIXTE- QUINT, et l'image enlumin��e, _la Pr��diction__[2]_!
�� force de contempler ces gravures de plus en plus pr��s, d'un oeil de plus en plus ardent et interrogatif, comme s'il e?t demand�� des inspirations ou des esp��rances �� ces images, Rodin s'en ��tait tellement rapproch�� que, toujours debout et repliant son bras droit derri��re sa t��te, il se tenait pour ainsi dire appuy�� et accoud�� �� la muraille, tandis que, cachant sa main gauche dans la poche de son pantalon noir, il ��cartait ainsi un des pans de sa vieille redingote olive.
Pendant plusieurs minutes il garda cette attitude m��ditative.
* * * * *
Rodin, nous l'avons dit, venait rarement dans ce logis; selon les r��gles de son ordre, il avait jusqu'alors toujours demeur�� avec le p��re d'Aigrigny, dont la surveillance lui ��tait sp��cialement confi��e: aucun membre de la congr��gation, surtout dans la position subalterne o�� Rodin s'��tait jusqu'alors tenu, ne pouvait ni se renfermer chez soi, ni m��me poss��der un meuble fermant �� clef; de la sorte, rien n'entravait l'exercice d'un espionnage mutuel, incessant, l'un des plus puissants moyens d'action et d'asservissement employ��s par la compagnie de J��sus. En raison de diverses combinaisons qui lui ��taient personnelles, bien que se rattachant par quelques points aux int��r��ts g��n��raux de son ordre, Rodin avait pris �� l'insu de tous ce pied-��-terre de la rue Clovis. C'est du fond de ce r��duit ignor�� que le _socius _correspondait directement avec les personnages les plus ��minents et les plus influents du sacr�� coll��ge.
On se souvient peut-��tre qu'au commencement de cette histoire, lorsque Rodin ��crivait �� Rome que le p��re d'Aigrigny, ayant re?u l'ordre de quitter la France sans voir sa m��re mourante, _avait _h��sit�� �� partir; on se souvient, disons-nous, que Rodin avait ajout�� en forme de post-scriptum, au bas du billet qui annon?ait au g��n��ral de l'ordre l'h��sitation du p��re d'Aigrigny:
?_Dites _au cardinal-prince qu'il peut compter sur moi, mais qu'�� son tour il me serve activement.?
Cette mani��re famili��re de correspondre avec le plus puissant dignitaire de l'ordre, le ton presque protecteur de la recommandation que Rodin adressait �� un cardinal-prince, prouvaient assez que le _socius, _malgr�� son apparente subalternit��, ��tait �� cette ��poque regard�� comme un homme tr��s important par plusieurs princes de l'��glise ou autres dignitaires, qui lui adressaient leurs lettres �� Paris sous un faux nom, et d'ailleurs chiffr��es avec les pr��cautions et les s?ret��s d'usage.
Apr��s plusieurs moments de m��ditation contemplative pass��s devant le portrait de Sixte-Quint, Rodin revint lentement �� sa table, o�� ��tait cette lettre, que, par une sorte d'atermoiement superstitieux, il avait diff��r�� d'ouvrir, malgr�� sa vive curiosit��. Comme il s'en fallait encore de quelques minutes que l'aiguille de sa montre ne marquat neuf heures et demie, Rodin, afin de ne pas perdre de temps, fit m��thodiquement les appr��ts de son frugal d��jeuner; il pla?a sur sa table, �� c?t�� d'une ��critoire garnie de plumes, le pain et le radis noir; puis, s'asseyant sur son tabouret, ayant pour ainsi dire le po��le entre ses jambes, il tira de son gousset un couteau �� manche de corne, dont la lame aigu? ��tait aux trois quarts us��e, coupa alternativement un morceau de pain et un morceau de radis, et commen?a son frugal repas avec un app��tit robuste, l'oeil fix�� sur l'aiguille de sa montre... L'heure fatale atteinte, Robin d��cacheta l'enveloppe d'une main tremblante.
Elle contenait deux lettres.
La premi��re parut le satisfaire m��diocrement; car, au bout de quelques instants, il haussa les ��paules, frappa impatiemment sur la table avec le manche de son couteau, ��carta d��daigneusement cette lettre du revers de sa main crasseuse et parcourut la seconde missive, tenant son pain d'une main, et, de l'autre, trempant par un mouvement machinal une tranche de radis dans le sel gris r��pandu sur un coin de table.
Tout �� coup, la main de Rodin restait immobile. �� mesure qu'il avan?ait dans sa lecture, il paraissait de plus en plus int��ress��, surpris, frapp��. Se levant brusquement, il courut �� la crois��e, comme pour s'assurer, par un second examen des chiffres de la lettre, qu'il ne s'��tait pas tromp��, tant ce qu'on lui annon?ait lui paraissait inattendu. Sans doute Rodin reconnut qu'il _avait bien d��chiffr��, _car, laissant tomber ses bras, non pas avec abattement, mais avec la stupeur d'une satisfaction aussi impr��vue qu'extraordinaire, il resta quelque temps la t��te basse, le regard fixe, profond; la seule marque de joie qu'il donnat se manifestait par une sorte d'aspiration sonore, fr��quente et prolong��e.
Les hommes aussi audacieux dans leur ambition que patients et opiniatres dans leur sape souterraine sont surpris de leur r��ussite lorsque cette r��ussite devance et d��passe incroyablement leurs sages et prudentes pr��visions. Rodin se trouvait dans ce cas. Grace �� des prodiges de ruse, d'adresse et de
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