Le juif errant - Tome II | Page 4

Eugène Süe
tous les jours... Eh bien, apr��s... apr��s... la fin du monde, ou bien on se marie...
-- Dites donc, mademoiselle, il aurait peut-��tre mieux valu commencer par l��.
-- Oui, mais on est trop b��te, on se sait pas enj?ler les hommes, ou leur faire peur; on est simple, confiante, et ils se moquent de vous... Tenez, moi, m��re Ars��ne, c'est ?a qui serait un exemple �� faire fr��mir la nature si je voulais... Mais c'est bien assez d'avoir eu des chagrins sans s'amuser encore �� s'en faire de la graine de souvenirs.
-- Comment ?a, mademoiselle?... vous si jeune, si gaie, vous avez eu des chagrins?
-- Ah! m��re Ars��ne: je crois bien: �� quinze ans et demi j'ai commenc�� �� fondre en larmes, et je n'ai tari qu'�� seize ans... C'est assez gentil, j'esp��re?
-- On vous a tromp��e, mademoiselle?
-- On m'a fait pis... comme on fait �� tant d'autres pauvres filles qui pas plus que moi, n'avaient d'abord envie de mal faire... Mon histoire n'est pas longue... Mon p��re et ma m��re sont des paysans du c?t�� de Saint-Val��ry, mais si pauvres, si pauvres, que sur cinq enfants que nous ��tions ils ont ��t�� oblig��s de m'envoyer �� huit ans chez ma tante, qui ��tait femme de m��nage ici, �� Paris. La bonne femme m'a prise par charit��; et c'��tait bien �� elle, car elle ne gagnait pas grand'chose. �� onze ans, elle m'a envoy��e travailler dans une des manufactures du faubourg Saint-Antoine. C'est pas pour dire du mal des ma?tres de fabriques, mais ?a leur est bien ��gal que les petites filles et les petits gar?ons soient p��le-m��le entre eux... Alors vous concevez... il y a l��-dedans, comme partout, des mauvais sujets; ils ne se g��nent ni en paroles ni en actions, et je vous demande quel exemple pour des enfants qui voient et qui entendent plus qu'ils n'en ont l'air! Alors, que voulez-vous?... on s'habitue en grandissant �� entendre et �� voir tous les jours des choses qui plus tard ne vous effarouchent plus.
-- C'est vrai, au moins, ce que vous dites l��, mademoiselle Rose- Pompon, pauvres enfants! qui est-ce qui s'en occupe? Ni le p��re ni la m��re; ils sont �� leur tache...
-- Oui, oui, allez, m��re Ars��ne, on a bien vite dit d'une jeune fille qui a mal tourn��: ?C'est une ci, c'est une ?a?, mais si on savait le pourquoi des choses, on la plaindrait plus qu'on ne la blamerait... Enfin, pour en revenir �� moi, �� quinze ans j'��tais tr��s gentille... Un jour, j'ai une r��clamation �� faire au premier commis de la fabrique. Je vais le trouver dans son cabinet; il me dit qu'il me rendra justice, et que m��me il me prot��gera si je veux l'��couter, et il commence par vouloir m'embrasser. Je me d��bats... Alors il me dit: ?Tu me refuses? tu n'auras plus d'ouvrage; je te renvoie de la fabrique.?
-- Oh! le m��chant homme! dit la m��re Ars��ne.
-- Je rentre chez nous tout en larmes, ma pauvre tante m'encourage �� ne pas c��der et �� me placer ailleurs... Oui... mais impossible; les fabriques ��taient encombr��es. Un malheur ne vient jamais seul: ma tante tombe malade; pas un sou �� la maison: je prends mon grand courage; je retourne �� la fabrique, supplie le commis. Rien n'y fait. ?Tant pis pour toi, me dit-il: tu refuses ton bonheur, car si tu avais voulu ��tre gentille, plus tard je t'aurais peut-��tre ��pous��e...? Que voulez-vous que je vous dise, m��re Ars��ne? La mis��re ��tait l��, je n'avais pas d'ouvrage; ma tante ��tait malade; le commis disait qu'il m'��pouserait... j'ai fait comme tant d'autres.
-- Et quand plus tard, vous lui avez demand�� le mariage?
-- Il m'a ri au nez, bien entendu, et, au bout de six mois, il m'a plant��e l��... C'est alors que j'ai tant pleur�� toutes les larmes de mon corps... qu'il ne m'en reste plus... J'en ai fait une maladie... et puis enfin, comme on se console de tout... je me suis consol��e... De fil en aiguille, j'ai rencontr�� Phil��mon. Et c'est sur lui que je me revenge des autres... Je suis son tyran, ajouta Rose-Pompon d'un air tragique.
Et l'on vit se dissiper le nuage de tristesse qui avait assombri son joli visage pendant son r��cit �� la m��re Ars��ne.
-- C'est pourtant vrai, dit la m��re Ars��ne en r��fl��chissant. On trompe une pauvre fille... qu'est-ce qui la prot��ge, qu'est-ce qui la d��fend? Ah! oui, bien souvent le mal qu'on fait ne vient pas de vous... et...
-- Tiens!... Nini-Moulin!... s'��cria Rose-Pompon en interrompant la fruiti��re et en regardant de l'autre c?t�� de la rue; est-il matinal!... Qu'est-ce qu'il peut me vouloir?
Et Rose-Pompon s'enveloppa de plus en plus pudiquement dans son manteau.
Jacques Dumoulin s'avan?ait en effet le chapeau sur l'oreille, le nez rubicond et l'oeil brillant; il ��tait v��tu d'un paletot-sac qui dessinait la rotondit��
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