Le juif errant - Tome II | Page 3

Eugène Süe
les mains au ciel; si vous le voyiez, avec son chapeau crasseux, sa vieille redingote, son parapluie rapi��c�� et son air bonasse; il a plut?t l'air d'un saint que d'autre chose.
-- Mais alors, m��re Ars��ne, qu'est-ce qu'il peut venir faire ainsi tout seul pendant des heures dans ce taudis du fond de la cour, o�� on voit �� peine clair en plein midi.
-- C'est ce que je vous demande, mademoiselle; qu'est-ce qu'il y peut faire? car pour venir s'amuser �� ��tre dans ses meubles, ce n'est pas possible: il y a en tout chez lui un lit de sangle, une table, un po��le, une chaise et une vieille malle.
-- C'est dans les prix de l'��tablissement de Phil��mon, dit Rose- Pompon.
-- Et, malgr�� ?a, mademoiselle, il a autant de peur qu'on entre chez lui que si on ��tait des voleurs et qu'il aurait des meubles en or massif; il a fait mettre �� ses frais une serrure de s?ret��; il ne me laisse jamais sa clef; enfin il allume son feu lui-m��me dans son po��le, plut?t que de laisser entrer quelqu'un chez lui.
-- Et vous dites qu'il est vieux.
-- Oui, mademoiselle... dans les cinquante �� soixante.
-- Et laid?
-- Figurez-vous comme deux petits yeux de vip��re perc��s avec une vrille, dans une figure toute bl��me, comme celle d'un mort... si bl��me enfin que les l��vres sont blanches, voil�� pour son visage. Quant �� son caract��re, le vieux brave homme est si poli, il vous ?te si souvent son chapeau en vous faisant un grand salut, que c'en est embarrassant.
-- Mais j'en reviens toujours l��, reprit Rose-Pompon, qu'est-ce qu'il peut faire tout seul dans ces deux chambres? Apr��s ?a, si C��physe prend le cabinet au-dessus quand Phil��mon sera revenu, nous pourrons nous amuser �� en savoir quelque chose... Et combien veut-on louer ce cabinet?
-- Dame... mademoiselle, il est en si mauvais ��tat que le propri��taire le laisserait, je crois bien, pour cinquante �� cinquante-cinq francs par an, car il n'y a gu��re moyen d'y mettre de po��le, et il est seulement ��clair�� par une petite lucarne en tabati��re.
-- Pauvre C��physe! dit Rose-Pompon en soupirant et en secouant tristement la t��te; apr��s s'��tre tant amus��e, apr��s avoir tant d��pens�� d'argent avec Jacques Rennepont, habiter-l�� et se mettre �� vivre de son travail!... Faut-il qu'elle ait du courage!...
-- Le fait est qu'il y a loin de ce cabinet �� la voiture �� quatre chevaux o�� Mlle C��physe est venue vous chercher l'autre jour, avec tous ces beaux masques, qui ��taient si gais... surtout ce gros en casque de papier d'argent avec un plumeau et en bottes �� revers... Quel r��joui!
-- Oui, dit Nini-Moulin: il n'y a pas son pareil pour danser le _fruit d��fendu... _Il fallait le voir en vis-��-vis avec C��physe... la reine Bacchanal... Pauvre rieuse... pauvre tapageuse!... Si elle fait du bruit maintenant, c'est en pleurant...
-- Ah!... les jeunesses... les jeunesses!... dit la fruiti��re.
-- ��coutez donc, m��re Ars��ne, vous avez ��t�� jeune aussi... vous...
-- Ma foi, c'est tout au plus! et �� vrai dire, je me suis toujours vue �� peu pr��s comme vous me voyez.
-- Et les amoureux, m��re Ars��ne?
-- Les amoureux! ah bien, oui! D'abord j'��tais laide, et puis j'��tais trop bien pr��serv��e.
-- Votre m��re vous surveillait donc beaucoup?
-- Non, mademoiselle... mais j'��tais attel��e...
-- Comment, attel��e? s'��cria Rose-Pompon ��bahie, en interrompant la fruiti��re.
-- Oui, mademoiselle, attel��e �� un tonneau de porteur d'eau avec mon fr��re. Aussi, voyez-vous, quand nous avions tir�� comme deux vrais chevaux pendant huit ou dix heures par jour je n'avais gu��re le coeur de penser aux gaudrioles.
-- Pauvre m��re Ars��ne, quel rude m��tier! dit Rose-Pompon avec int��r��t.
-- L'hiver surtout, dans les gel��es... c'��tait le plus dur... moi et mon fr��re nous ��tions oblig��s de nous faire clouter �� glace, �� cause du verglas.
-- Et une femme encore... faire ce m��tier-l��!... ?a fend le coeur... et on d��fend d'atteler les chiens[1]!... ajouta tr��s sens��ment Rose-Pompon.
-- Dame! c'est vrai, reprit la M��re Ars��ne, les animaux sont quelquefois plus heureux que les personnes; mais que voulez-vous? Il faut vivre... O�� la b��te est attach��e, faut qu'elle broute... mais c'��tait dur... J'ai gagn�� �� cela une maladie de poumons, ce n'est pas ma faute! Cette esp��ce de bricole dont j'��tais attel��e... en tirant, voyez-vous, ?a me pressait tant et tant la poitrine, que je ne pouvais pas respirer... aussi j'ai abandonn�� l'attelage et j'ai pris une boutique. C'est pour vous dire que si j'avais eu des occasions et de la gentillesse, j'aurais peut-��tre ��t�� comme tant de jeunesses qui commencent par rire et finissent...
-- Par tout le contraire, c'est vrai, m��re Ars��ne; mais aussi, tout le monde n'aurait pas le courage de s'atteler pour rester sage... Alors on se fait une raison, on se dit qu'il faut s'amuser tant qu'on est jeune et gentille... et puis qu'on n'a pas dix-sept ans
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