cousin étant rédacteur en chef, il se trouva tout naturellement rédacteur particulier.
On lui demanda des articles; il en fit quatre; cette série était intitulée _L'Homme-mouche._
Ce sont les premières lignes sorties de la plume de l'auteur de _Mathilde _et des _Mystères de Paris _qui aient été imprimées.
Mais on comprend que _La Nouveauté _ne payait point ses rédacteurs au poids de l'or; d'un autre c?té, le docteur Sue restait inflexible: il avait sur le coeur non seulement le vin bu, mais encore le vin gaté.
On avait bien une ressource extrême dont je n'ai pas encore parlé et que je réservais, comme son propriétaire, pour les grandes occasions: c'était une montre Louis XVI, à fond d'émail, entourée de brillants, donnée par la marraine, l'impératrice Joséphine.
Dans les cas extrêmes, on la portait au mont-de-piété et l'on en avait cent cinquante francs.
Elle défraya le mardi gras de 1826; mais, le mardi gras passé, après avoir tra?né le plus longtemps possible, il fallut prendre un grand parti et s'en aller à la campagne.
Bouqueval, la campagne du docteur Sue, offrait aux jeunes gens son hospitalité champêtre et frugale; on alla à Bouqueval.
Paques arriva, et, avec Paques, un certain nombre de convives. Chacun avait promis d'apporter son plat, qui un homard, qui un poulet r?ti, qui un paté.
Or, il arriva que, chacun comptant sur son voisin, l'argent manquant à tous, personne n'apporta rien.
Il fallait cependant faire la paque; c'e?t été un péché que de ne pas fêter un pareil jour.
On alla droit aux étables et l'on égorgea un mouton.
Par malheur, le mouton était un magnifique mérinos que le docteur gardait comme échantillon.
Il fut dépouillé, r?ti, mangé jusqu'à la dernière c?telette.
Lorsque le docteur apprit ce nouveau méfait, il se mit dans une abominable colère; mais aux colères paternelles, Eugène Sue opposait une admirable sérénité.
C'était un charmant caractère que celui de notre pauvre ami, toujours gai, joyeux, riant.
Il devint triste, mais resta bon.
Ordre fut donné à Eugène Sue de quitter Paris.
Il passa dans la marine, et fit deux voyages aux Antilles.
De là la source d'_Atar-Gull, _de là l'explication de ces magnifiques paysages qui semblent entrevus dans un pays de fées, à travers les déchirures d'un rideau de théatre.
Puis il revint en France. Une bataille décisive se préparait contre les Turcs. Eugène Sue s'embarqua, comme aide-major, à bord du _Breslau, _capitaine La Bretonnière, assista à la bataille de Navarin, et rapporta comme dépouilles opimes un magnifique costume turc qui fut mangé au retour, velours et broderie.
Tout en mangeant le costume turc, Eugène Sue, qui prenait peu à peu go?t à la littérature, avait fait jouer, avec Desforges, _Monsieur le marquis._
Enfin, vers le même temps, il faisait para?tre, dans _La Mode, _la nouvelle de _Plick et Plock, _son point de départ comme roman.
Sur ces entrefaites, le grand-père maternel d'Eugène Sue mourut, lui laissant quatre-vingt mille francs, à peu près. C'était une fortune inépuisable.
Aussi le jeune poète, qui avait vingt-quatre ans, et qui, par conséquent, était sur le point d'atteindre sa grande majorité, donna-t-il sa démission et se mit-il dans ses meubles.
Nous disons se mit _dans ses meubles, _parce qu'Eugène Sue, artiste d'habitudes comme d'esprit, fut le premier à meubler un appartement à la manière moderne; Eugène Sue eut le premier tous ces charmants bibelots dont personne ne voulait alors, et que tout le monde s'arracha depuis: vitraux de couleur, porcelaines de Chine, porcelaines de Saxe, bahuts de la Renaissance, sabres turcs, criks malais, pistolets arabes, etc.
Puis, libre de tout souci, il se dit que sa vocation était d'être peintre, et il entra chez Gudin, qui, à peine agé de trente ans alors, avait déjà sa réputation faite.
Nous avons dit qu'Eugène Sue dessinait, ou plut?t croquait assez habilement; il avait, je me le rappelle, rapporté de Navarin un album qui était doublement curieux, et comme c?té pittoresque, et comme c?té artistique.
Ce fut chez l'illustre peintre de marine qu'arriva à Eugène Sue une de ces aventures de gamin qui avaient rendu célèbre la société Romieu, Rousseau et Eugène Sue.
Gudin, nous l'avons dit, était à cette époque dans toute la force de son talent et dans tout l'éclat de sa renommée. Les amateurs s'arrachaient ses oeuvres, les femmes se disputaient l'homme. Comme tous les artistes dans une certaine position, il recevait de temps en temps des lettres de femmes inconnues, qui, désirant faire connaissance avec lui, lui donnaient des rendez-vous à cet effet.
Un jour, Gudin en re?ut deux; toutes deux lui donnaient rendez- vous pour la même heure. Gudin ne pouvait pas se dédoubler. Il fit part à Eugène Sue de son embarras.
Eugène Sue s'offrit pour le remplacer; de l'élève au ma?tre, il n'y a qu'un pas.
Puis il y avait une grande ressemblance physique entre Gudin et Eugène Sue: ils étaient de même taille, avaient tous les deux la barbe et les cheveux noirs; l'un ayant vingt-sept ans, l'autre trente, la plus mal partagée des
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