Le juif errant - Tome I | Page 6

Eugène Süe
sous la forme de papier timbré.
L'homme d'affaires du docteur Sue fut chargé d'entrer en arrangement avec MM. Ermingot et Godefroy; ces messieurs, au reste, venaient d'avoir un petit désagrément en police correctionnelle, ce qui les rendit tout à fait coulants.
Moyennant deux mille francs, ils rendirent les lettres de change et donnèrent quittance générale.
Sur quoi, Eugène Sue s'engagea à rejoindre son poste à l'h?pital militaire de Toulon.
Desforges perdit toute la confiance du docteur. Il fut reconnu par l'enquête qu'il avait trempé jusqu'au cou dans l'affaire Ermingot et Godefroy, et il fut mis à l'index; ce qui le détermina -- facilité toujours par sa fortune personnelle -- à suivre Eugène Sue à Toulon.
Damon n'e?t pas donné une plus grande preuve de dévouement à Pythias.
On passa la dernière nuit ensemble: de Leuven, Adam, Desforges, Romieu, Croissy, Millaud, un cousin d'Eugène Sue, charmant gar?on qui est allé mourir depuis en Amérique, Mira, le fils du célèbre Brunet, dont un duel fatal illustra depuis l'adresse.
Au moment du départ, l'enthousiasme fut tel, que Romieu et Mira résolurent d'escorter la diligence.
Eugène Sue et Desforges étaient dans le coupé; Romieu et Mira galopaient aux deux portières.
Romieu galopa jusqu'à Fontainebleau; là, il lui fallut absolument descendre de cheval.
Mira, s'entêtant, fit trois lieues de plus puis force lui fut de s'arrêter à son tour.
La diligence continua majestueusement son chemin, laissant les blessés en route.
On arriva le cinquième jour à Toulon.
Le premier soin des exilés fut d'écrire, pour avoir des nouvelles de leurs amis.
Romieu avait été ramené dans la capitale sur une civière.
Mira avait préféré attendre sa convalescence là où il était, et, quinze jours après, rentrait à Paris en voiture.
On s'installa à Toulon et l'on commen?a de faire les beaux avec les restes de la splendeur parisienne. Ces restes de splendeur, un peu fanés, étaient du luxe à Toulon.
Les Toulonnais ne tardèrent pas à regarder les nouveaux venus d'un mauvais oeil; ils appelaient Eugène Sue, le _Beau Sue. _Les Toulonnais faisaient un calembour auquel l'orthographe manquait, mais qui se rachetait par la consonance.
Le calembour eut d'autant plus de succès là-bas, qu'Eugène Sue, très beau gar?on, du reste, nous l'avons dit déjà, avait la tête un peu dans les épaules.
Mais le haro redoubla, quand on vit tous les soirs venir les muscadins au théatre, et que l'on s'aper?ut qu'ils y venaient particulièrement pour lorgner la première amoureuse, Mlle Florival.
C'était presque s'attaquer aux autorités: le sous-préfet protégeait la première amoureuse.
Les deux Parisiens s'entêtèrent et demandèrent leurs entrées dans les coulisses. Desforges faisait valoir sa qualité d'auteur dramatique; il avait eu deux ou trois vaudevilles joués à Paris.
Eugène Sue était vierge de toute espèce de littérature et ne donnait aucun signe de vocation pour la carrière d'homme de lettres; il était plut?t peintre. Gamin, il avait couru les ateliers, dessinait, croquait, brossait.
Il y a sept ou huit ans à peine, que je voyais encore, dans une des anciennes rues qui longeaient la Madeleine, un cheval qu'il avait dessiné sur la muraille avec du vernis noir et un pinceau à cirer les bottes.
Le cheval s'est écroulé avec la rue.
La porte des coulisses restait donc impitoyablement fermée; ce qui donnait aux Toulonnais le droit incontestable de goguenarder les Parisiens.
Par bonheur, Louis XVIII était mort le 15 septembre 1824, et Charles X avait eu l'idée de se faire sacrer; la cérémonie devait avoir lieu dans la cathédrale de Reims, le 26 mai 1825.
Maintenant, comment la mort du roi Louis XVIII à Paris, comment le sacre du roi Charles X à Reims pouvaient-ils faire ouvrir les portes du théatre de Toulon à Desforges et à Eugène Sue?
Voici.
Desforges proposa à Eugène Sue de faire, sur le sacre, ce que l'on appelait, à cette époque, un _à-propos. _Eugène Sue accepta, bien entendu.
L'_à-propos _fut représenté au milieu de l'enthousiasme universel. J'ai encore cette bluette, écrite tout entière de la main d'Eugène Sue.
Le même soir, les deux auteurs avaient, d'une fa?on inattaquable, leurs entrées dans les coulisses, et par suite chez Mlle Florival.
Ils en profitèrent conjointement et sans jalousie aucune.
Sous ce rapport, Eugène Sue avait des idées de communisme innées.
Vers le mois de juin 1825, Damon et Pythias se séparèrent.
Eugène Sue resta seul en possession de ses entrées au théatre et chez Mlle Florival. Desforges partit pour Bordeaux, où il fonda _Le Kaléidoscope._
Pendant ce temps, Ferdinand Langlé fondait _La Nouveauté_ à Paris.
Vers la fin de 1825, Eugène Sue revint de Toulon.
Il trouva un centre littéraire auquel s'étaient ralliés les anciens h?tes de la rue du Rempart.
C'était _La Nouveauté_.
Les principaux rédacteurs du journal étaient de Brucker, Michel Masson, Romieu, Rousseau, Garnier-Pagès a?né, de Leuven, Dupeuty, de Villeneuve, Cavé, Vulpian et Desforges.
Desforges avait abandonné son fruit en province pour venir se rallier à la création de Ferdinand Langlé.
Le petit journal était en pleine prospérité. Depuis la représentation de son _à-propos _à Toulon, Eugène Sue était auteur dramatique, par conséquent, homme de lettres. Son
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