Le journal dune pensionnaire en vacances | Page 3

Noémie Dondel Du Faouëdic
brillante a séché nos
vêtements et doré les crêpes qu'on nous préparait, et que nous avons
trouvées excellentes, arrosées d'une jatte de lait mousseux.
Après ce repas champêtre et charmant, nous eussions affronté toutes les
cataractes du ciel; mais le char-à-bancs du fermier nous attendait, et,
dix minutes après, nous rentrions en gare. À huit heures et demie les
formes imposantes et grandioses de la Tour de Redon se dessinaient
dans l'obscurité transparente d'une soirée d'été...
Salut, mon cher manoir! salut, mes jeunes sapins et mes vieilles
tourelles! comme vous me semblez grands! Car c'est le propre de
l'ombre de laisser seulement entrevoir les contours, deviner les lignes et
d'agrandir les formes indécises de tout ce qu'elle enveloppe de ses
voiles mystérieux. Salut aussi, hôtes nocturnes des bois, qui versez
dans l'espace vos chants plaintifs, auxquels se mêle, l'hiver, dans une
harmonie lugubre, le cri aigu des girouettes que le vent fait grincer sur
leurs gonds rouillés? Que de fois je suis restée à vous entendre,
trouvant je ne sais quelle rêveuse et mélancolique poésie dans la
profondeur des ténèbres et les hurlements de la nuit? Demain, je
saluerai le soleil, les oiseaux, les fleurs, la gent laitière et l'espèce
emplumée: les belles poules aux oeufs frais et les canards soyeux. J'irai
dans la serre cueillir quelques raisins dorés. Dans ma petite enfance on
m'y surprenait toujours; j'aimais tant les suaves parfums, les brillantes

couleurs, les fruits exquis! Je croyais que toutes ces belles grappes
vermeilles allaient d'elles-mêmes me tomber sur les lèvres et je restais à
les attendre...
Que de fois maman ou ma bonne m'ont trouvée les conjurant du regard
et les appelant de la voix: «Petites belles, petites belles, leur disais-je,
venez donc je vous attends.» J'admirais aussi les fleurs, les camélias
surtout, et lorsque je les voyais s'effeuiller, je disais, dans ma naïve
simplicité: «Mais, pourquoi donc toutes les fleurs se déshabillent-elles
ainsi? Est-ce qu'elles ne pourront plus reprendre leur jolie robe!--Non,
me disait maman; quand tu vois leur fraîche corolle pâlir et leur tête se
pencher, quand tu vois toutes ces fleurs endolories sourire tristement,
c'est qu'elles vont mourir? Mais c'est la loi de la nature, rien ne meurt
tout à fait... Et comme les jeunes filles plus tard doivent remplacer leurs
mères, de même les jolies bengales d'avril font oublier les dernières
roses d'automne. Regarde partout la végétation, et vois combien de
nouveaux boutons se préparent...» Alors, je regardais les sèves pleines
d'espérances, et cependant je n'étais pas consolée, et le raisonnement de
ma chère maman, que j'aime tant, me faisait bien de la peine en pensant
à elle.
Je les aime toujours les fleurs, aujourd'hui comme jadis, et les oiseaux
aussi. Ah! si j'habite jamais la campagne, j'aurai une volière pleine des
musiciens de la forêt; j'aurai un grand jardin où j'entendrai encore le
suave concert de la brise se jouant dans le feuillage et caressant de son
haleine légère la tête embaumée des fleurs; ces belles fleurs rouges,
roses, jaunes, violettes, azurées et tigrées comme des peaux de
panthères, ou fourmillantes et brillantes comme les pierreries de la
reine de Saba. Des oiseaux quelque part et des fleurs partout, voilà mon
ambition et mon rêve!

Le 12 août.
Hélas! nous venons de traverser trois jours de torrents, de tourbillons,
de tempêtes à ne pas mettre le pied dehors. Quelle vilaine inauguration
des vacances!

Nous allons cependant à la rencontre de mon frère, et nous revenons
trempés comme des canards; aussi, maman n'étant pas de la race des
palmipèdes, ne trouve-t-elle aucun agrément dans ce qui fait leur joie.

Le 16 août.
Enfin, la calotte du ciel a repris ses teintes azurées; le soleil a quitté son
bonnet de nuit et salué de ses plus beaux rayons notre arrivée dans la
capitale des Venètes.
Mon amie Augustine est du voyage, en sorte que maman se trouve le
Mentor de deux charmantes filles et d'un garçonnet. En quelques heures
nous avons visité la cathédrale, qu'une intelligente restauration rendra
bientôt complète. On y remarque beaucoup de tableaux donnés par le
roi Louis-Philippe, et la chapelle Saint-Vincent Ferrier, dont le
tombeau en marbre est surmonté de son buste qu'on porte en grande
pompe à toutes les processions.
Saint Vincent Ferrier est le patron, l'honneur et la gloire de la ville de
Vannes. Cet ardent apôtre, arrivé au terme de sa vie, disait à nos pères
ces belles paroles: «Le moment est venu où mon Seigneur Jésus-Christ
veut me conduire par sa miséricorde dans son paradis. Vous le voyez,
je suis vieux, il est bien temps que je paye la dette de la nature humaine:
gardez et observez fidèlement ce que j'ai prêché jusqu'à ce jour. Vous
n'ignorez pas à quels vices j'ai trouvé que votre province était sujette;
de mon côté, je n'ai rien épargné pour
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