Le journal dune pensionnaire en vacances | Page 2

Noémie Dondel Du Faouëdic

J'en suis tout étourdie. Quelle différence entre ce brouhaha et le calme
de mon couvent, si bien nommé la Retraite.
Nous avons admiré l'hôtel de nos aimables hôtes et amis, M. et Mme
B... À l'intérieur, toutes les fantaisies raffinées que le luxe moderne
peut inventer; à l'extérieur, de riches sculptures, des colonnes, des
balustres, et tout à l'entour de grands arbres ombreux tamisant la
lumière qui se joue sur les gazons souples comme des tapis de velours;
des ruisseaux limpides où nagent des ondes bleues et des poissons
rouges, et enfin un jardin d'hiver, ou plutôt une grotte merveilleuse
faisant rêver le soir, lorsqu'elle est illuminée, aux descriptions
enchantées des Mille et une nuits. Comme contraste nous sommes
allées visiter le Temple protestant, dont la sévérité ne dit rien du tout à
l'âme. On a bien tort de reprocher au catholicisme la pompe de son
culte; ses riches autels, ses statues, ses madones, ses beaux tableaux,
retraçant la vie du Sauveur et celle des saints, nous parlent bien mieux
du Ciel que toutes ces sentences de la Bible incrustées sur les parois du
Temple; sentences éternelles comme la pierre qui les garde, mais aussi
froides qu'elle.
Maman m'a également menée à son ancienne pension. Il y avait bien
longtemps qu'elle n'y était retournée, et elle a cherché en vain les
personnes et les choses de son temps. L'immutabilité n'est pas de ce
monde! Elle n'a pu retrouver aucune de ses maîtresses, les unes
appelées ailleurs, les autres parties pour le grand voyage... Et cependant
toutes ces bonnes religieuses l'ont reçue comme l'enfant de la maison,
et maman à son tour semblait se trouver à l'aise, comme si elle les avait
toujours connues.
Nous avons tout visité: la chapelle, les dortoirs, les classes. Ici était
mon pupitre, là mon lit, disait maman; mais partout des métamorphoses!
L'eau, la lumière, la chaleur sont maintenant dispensées dans toute la

maison par des procédés savants et ingénieux, mais non pratiqués
autrefois.
Maman cherchait aussi partout les beaux arbres gravés dans sa
mémoire, et surtout les belles charmilles impénétrables aux rayons et
aux brumes. Plus rien de tout cela! Des massifs, des pelouses, des
allées tournantes, enfin, ces jardins à la mode du jour qu'on est convenu
d'appeler jardins anglais.
En nous en allant, maman me disait:
«Ainsi va le monde, chaque génération passe son temps à détruire et à
refaire les travaux de la génération précédente, et à préparer ainsi de
l'ouvrage pour celle qui vient. Vois comme le luxe gagne et s'introduit
partout. Crois-tu que nos grosses lampes à l'huile ne valaient pas le gaz?
Elles étaient infiniment meilleures, et ne fatiguaient pas la vue. Crois-tu
que l'eau vive, tirée du puits, ne valait pas autant que celle qui a circulé
longtemps dans des canaux et séjourné ensuite dans de vastes réservoirs?
Crois-tu que nous avions besoin alors de calorifères pour nous
réchauffer? Non; je t'assure que toutes ces délicatesses de confort ne
font pas les robustes santés. Je veux bien croire que l'anémie ne soit pas
seulement une maladie à la mode; cependant, autrefois personne n'en
parlait. On s'ingénie à raffiner les besoins de la vie; les exigences du
bien-être, et l'on appelle cela progrès, civilisation; mais ne se
trompe-t-on pas sur la portée de ces mots, et surtout sur la valeur de ce
bien-être matériel dont toutes les classes sont devenues si avides? Faire
fortune par n'importe quel moyen et jouir, n'est-ce pas le principal
résultat du luxe et des appétits insatiables? Il est reconnu que tous les
peuples ont été vaincus par les délices de la fortune avant de l'être par
leurs conquérants. Les hommes sobres, qui se lèvent matin, dorment à
cheval, et n'accordent rien aux superfluités de l'existence, ont le secret
des races fortes. Tant que Rome chercha ses sénateurs et ses conseillers
dans le calme et la simplicité des champs, elle eut des hommes si
grands qu'elle aurait pu conquérir le monde. Plus tard, elle s'effémina et
s'amollit en prenant aux peuples vaincus par elle leur luxe et leurs
plaisirs, et fut, à son tour, vaincue par leurs vices devenus les siens
propres.»

Maman était en verve, et sa tirade tournait au discours, lorsque nous
sommes rentrées; mais nos petits préparatifs de toilette pour le dîner,
assez nombreux ce jour-là, ont mis fin à son éloquence, ce dont je n'ai
point été fâchée, je le confesse tout bas, et l'ajustement de ma jolie robe
bleue, succédant à ma sombre robe d'uniforme, m'intéressait beaucoup
plus en ce moment que l'histoire de tous les peuples du monde.

Le 3 août.
Nous avons quitté Nantes l'après-midi, et nous sommes descendues à
Savenay, maman voulant me faire visiter une de ses propriétés. Nous y
sommes arrivées par une pluie torrentielle, ce qui a singulièrement
refroidi et rembruni nos idées. Une flamme
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