Le grillon du foyer | Page 5

Charles Dickens
Et tout ce que semblait chanter le grillon s'est vérifié; car vous avez
été toujours pour moi le meilleur, le plus affectueux des maris. Notre
maison a été heureuse, John; et c'est ce qui m'a fait aimer le Grillon.
-- Et moi aussi! moi aussi, Dot!
-- Je l'aime pour son chant qui fait naître en moi ces douces pensées.
Quelquefois, à l'heure du crépuscule, lorsque je me sentais solitaire et
triste, John, -- avant que le baby fût ici, pour me tenir compagnie et
pour égayer la maison; -- lorsque je pensais combien vous seriez seul si
je venais à mourir, son cri, cri, cri, semblait me rappeler une autre voix
douce et chère qui faisait à l'instant évanouir mon rêve. Et lorsque
j'avais peur, -- j'avais peur autrefois, John, j'étais si jeune, -- j'avais peur
que notre mariage ne fût pas heureux. Moi, j'étais presque une enfant,
et vous, vous ressembliez plus à mon tuteur qu'à mon mari. Je craignais
que, malgré vos efforts, vous ne pussiez pas apprendre à m'aimer,
quoique vous en eussiez l'espoir et que ce fût l'objet de vos prières. Le
chant du Grillon me rendait courage, en me remplissant de confiance.
Je pensais à tout cela ce soir, cher, pendant que j'étais assise à vous
attendre, et j'aime le Grillon pour tout ce que je viens de vous dire.

-- Et moi aussi, répondit John. Mais, Dot, que voulez-vous dire? que
j'espérais apprendre vous aimer et que je le demandais à Dieu dans mes
prières? J'ai appris cela bien avant de vous amener ici, pour être la
petite maîtresse du Grillon, Dot.
Elle appuya un instant la main sur son bras, et le regarda avec un visage
ému, comme si elle avait voulu lui dire quelque chose. Le moment
d'après, elle se mit à genoux devant la corbeille, triant les paquets d'un
air affairé, en murmurant à demi voix.
-- Il n'y en a pas beaucoup ce soir, John, mais j'ai vu tout à l'heure
quelques marchandises derrière la charrette; et quoiqu'elles donnent
plus de peine, elles rapportent assez. Nous n'avons pas raison de nous
plaindre, n'est-ce pas? D'ailleurs vous avez à livrer des paquets le long
de la route, je pense?
-- Oh oui, dit John; beaucoup.
-- Mais qu'est-ce que c'est que cette boîte ronde? John, mon coeur, c'est
un gâteau de mariage.
-- Il n'y a qu'une femme pour trouver cela, dit John avec admiration.
Jamais un homme ne l'aurait deviné. Je parie que si l'on mettait un
gâteau de mariage dans une boîte à thé, dans un baril de saumon, ou
dans quoi que ce soit, une femme le dénicherait tout de suite. Oui, je
l'ai pris chez le pâtissier.
-- Comme il pèse! il pèse un quintal! s'écria Dot, en essayant de le
soulever. De qui est-il? À qui l'envoie-t-on?
-- Lisez l'adresse de l'autre côté, dit John.
-- Comment, John! Bonté de Dieu!
-- Y auriez-vous pensé? répondit John.
-- Vous ne m'en aviez rien dit, continua Dot en s'asseyant sur le
plancher et en secouant la tête, tandis qu'elle le regardait; C'est pour
Gruff et Tackleton le fabricant de joujoux.
John fit signe qu'oui.
Mistress Peerybingle secoua aussitôt la tête au moins cinquante fois;
non pas pour exprimer sa satisfaction, mais bien un muet étonnement;
elle fit une moue -- il lui fallut faire effort, car ses lèvres n'étaient pas
faites pour la moue, j'en suis sûr -- et elle regardait son mari d'un air
distrait. Pendant ce temps, miss Slowbody, qui avait l'habitude de
répéter machinalement des fragments de conversation pour amuser le
baby, qui estropiait les noms en les mettant tous au pluriel, disait à

l'enfant: Ce sont les Gruffs et les Tackletons, les fabricants de joujoux;
on achète chez les pâtissiers des gâteaux de mariage pour eux, et les
mamans devinent tout ce qu'il y a dans les boîtes que les papas
apportent.
Et ainsi de suite.
-- Et cela se fera vraiment! dit Dot. Elle et moi nous allions ensemble à
l'école, quand nous étions de petites filles.
John aurait pu penser à elle, puisqu'elle allait à l'école en même temps
que sa femme, John regarda Dot avec plaisir, mais il ne répondit pas.
-- Mais lui en bois vieux! Il est bien peu fait pour elle! De combien
d'années est-il plus âgé que vous Gruff Tackleton, John?
-- Demandez-moi plutôt combien de tasses de thé je boirai ce soir de
plus qu'il n'en boirait en quatre soirées, répondit John d'un ton de bonne
humeur, en approchant une chaise de la table ronde, et en commençant
à manger le jambon. -- Quant à manger, je mange peu, mais ce peu me
profite, Dot.
Il disait cela et il le pensait toutes les fois qu'il mangeait, mais c'était
une de ses illusions, car son appétit
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