Le gorille | Page 3

Oscar Méténier
son chapeau, passa lestement son pardessus et dit �� ses interlocuteurs ��bahis:
--Pardon, mes amis, de prendre aussi promptement cong�� de vous; mais il faut que je parte. Que Mayran veuille bien me faire avancer une voiture!
Quand il fut �� la porti��re de la voiture de louage qu'un domestique ��tait all�� chercher, Paul de Breuilly jeta au cocher ces seuls mots: Gare Montparnasse!
En m��me temps, Gustave Mayran et Adrien de Vermont se demandaient si le comte ��tait conspirateur ou amoureux.
--As-tu toujours connu de Breuilly aussi ��trange? demanda de Vermont au militaire.
--Paul, r��pliqua Mayran, est un homme dont la poitrine est perc��e de part en part et qui porte le fer dans sa plaie. S'il vit encore, c'est par un miracle de volont��.
--Un amour tardif, peut-��tre?
--Oh! moi, dit le g��n��ral, je n'entends rien �� l'amour! D'ailleurs, Paul n'a plus vingt ans.
--O�� ��tait-il �� vingt ans? demanda Adrien.
--Je crois, en Allemagne, dit Gustave; mais je n'ai jamais su ce qu'il y avait fait.

II
Le comte de Breuilly ��tait originaire du Languedoc, et tr��s gentilhomme au point de vue du caract��re.
Sa vie avait ��t�� pleine de myst��re. Militaire, il avait quitt�� le service pour se marier, et, depuis lors, il s'��tait vou�� �� la science avec l'acharnement d'un homme qui se fuit lui-m��me, et �� la musique par passe-temps. Il s'��tait fait ainsi une vie occup��e, la partageant entre ses livres, son violon et les soins qu'il rendait �� sa famille. Il avait eu deux enfants, un gar?on, d'humeur bouillante et aventureuse, et une fillette, blonde, palotte, pour qui son fr��re ��tait le soleil.
Le si��ge prussien avait emprisonn�� dans Paris, en 1870, le p��re, la femme et les enfants.
Fran?ois de Breuilly, engag�� volontaire, tomba �� Champigny, dans un foss�� de neige, pour ne plus se relever. Le p��re sortit de Paris pour aller reconna?tre les restes de son fils unique. Louise, malgr�� les efforts r��unis de son p��re et de sa m��re, avait voulu l'accompagner.
Sa d��termination ��tait si formelle, et pour ainsi dire si violente, que le p��re c��da, et ce fut la jeune fille qui, en furetant le long d'une tranch��e fun��raire, entre les deux files de Fr��res de la Doctrine chr��tienne qui maniaient la pioche dans ce cimeti��re improvis��, pronon?a tout �� coup, le doigt lev��, ce seul mot: Fran?ois!. Puis elle chancela.... Le comte regarda le mort en soutenant sa fille ��vanouie. Fran?ois ��tait l��, tranquille et raide sur sa derni��re couche, un trou �� la tempe, le k��pi encore au front. Le p��re trouva la force d'emporter sa fille, croyant retenir vivante la seconde des cr��atures qu'il avait le plus aim��es; mais elle ne se remit point de cette ��preuve. Elle ��tait dans l'age d'��closion des jeunes filles. L'��branlement de la douleur et le froid lui furent fatals. Peu de mois apr��s, elle mourut de la balle qui avait tu�� son fr��re.
M. de Breuilly et sa femme se demand��rent s'il ��tait possible d'��tre plus malheureux.
La maison ��tait bien vide et les jours d��sormais coul��rent longs et tristes pour ces deux ��tres si ��prouv��s.
Parfois, dans le silence de cette demeure d��sol��e, le p��re, commen?ait Une phrase:
?Quand j'avais vingt ans!...? Mais il n'achevait pas.
--Eh bien! r��pliquait la comtesse, quand vous aviez vingt ans?
--Ai-je dit cela? r��pondait Paul; mais il semblait avoir oubli�� d��j�� sa pens��e.
Blanche se r��p��tait �� elle-m��me:
--Que signifie? Il ��tait alors en Allemagne, mais, �� part des ��tudes scientifiques, je n'ai jamais su ce qu'il y avait fait. Du reste, les hommes sont g��n��ralement sobres dans le r��cit de leur premi��re jeunesse; il ne faut pas le tourmenter, il est assez malheureux....
Un matin, �� sa stup��faction, Blanche, arrangeant dans un vase les fleurs qu'elle avait cueillies la veille au cimeti��re, crut entendre, et entendit en effet, le susurrement d'un archet sur un stradivarius qui, depuis la bataille de Champigny, n'��tait pas sorti de sa bo?te. Elle tourna vivement la t��te vers les fen��tres de Paul, et il lui fallut l'entrevoir pendant quelques minutes, avec l'instrument de musique �� la main, pour se convaincre qu'il avait repris son violon et qu'il en jouait.
Il y avait quelque chose d'effrayant pour elle dans cette esp��ce de miracle; mais, si consoler son mari de leur commune douleur ��tait bien un devoir qu'elle s'��tait impos��, elle n'en tenait pas moins Paul pour inconsolable. Vou��e d��sormais aux capelines noires, r��pudiant les graces de son sexe, se plaisant m��me �� ressembler aux religieuses, elle n'��tait plus femme; et, �� ce trait d'un archet courant, agile encore, sur une chanterelle raffermie, elle augura que sa propre vieillesse avait devanc�� les ann��es de Paul. Son mari, plus robuste et peut-��tre moralement plus jeune, n'avait donc pas dit encore aux joies de la terre un ��ternel adieu?
Les solitaires et les m��lancoliques remarquent tout. Paul avait un gardien plus attentif dans la personne de Blanche que dans n'importe quel infirmier; d'abord parce
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