poussé dans ces sables arides, par hasard ou par caprice de la
nature.
Sûr désormais de les retrouver, Diaz marcha plus lentement, et, pour se
donner une contenance en cas de surprise, ou écarter de lui tout
soupçon, il alluma une cigarette. Les gauchos, par bonheur, ne se
retournèrent pas une seule fois et pénétrèrent dans le bois à la suite de
l'homme que Diaz avait reconnu pour être don Juan Perez. Lorsque, à
son tour, Diaz arriva devant la lisière du bois, au lieu d'y entrer
immédiatement, il fit un léger circuit sur la droite, puis, se courbant
vers le sol, il commença à ramper des pieds et des mains avec la plus
grande précaution, afin de n'éveiller par aucun bruit l'attention des
gauchos.
Au bout de quelques minutes, des voix arrivèrent jusqu'à lui. Il leva
alors doucement la tête, et dans une clairière, à dix pas de lui environ, il
vit les trois homme arrêtés et causant vivement entre eux. Il se releva
de terre, s'effaça derrière un érable et prêta l'oreille.
Don Juan Perez avait laissé retomber son manteau, l'épaule appuyée
contre un arbre, les jambes croisées, et il écoutait avec une impatience
visible ce que lui disait en ce moment Chillito.
Don Juan Perez était un homme de vingt-huit ans, beau, d'une taille
élevée et bien prise, pleine d'élégance et de noblesse dans tous ses
mouvements, avec cette attitude hautaine que donne l'habitude de
commander. Des yeux noirs grands et vifs illuminaient l'ovale de son
visage, deux yeux comme chargés d'éclairs et dont il était presque
impossible de supporter le regard et la fascination étranges. Les narines
mobiles de son nez droit semblaient s'ouvrir aux passions vives; une
froide raillerie s'était incrustée dans les coins de sa bouche, belle de
dents blanches et surmontée d'une moustache noire. Le front était large,
la peau bistrée par les ardeurs du soleil, la chevelure longue et soyeuse.
Cependant malgré toutes ces prodigalités de la nature, son expression
altière et dédaigneuse finissait par inspirer une sorte de répulsion.
Les mains de don Juan étaient parfaitement gantées et petites; son pied,
un pied de race, se cambrait dans des bottes vernies. Pour le costume,
qui était d'une grande richesse, il était absolument pareil par la forme à
celui des gauchos. Un diamant d'un prix immense serrait le col de sa
chemise, et le fin tissu de son poncho valait plus de cinq cents piastres.
Deux ans avant l'époque de ce récit, don Juan Perez était arrivé au
Carmen inconnu de tout le monde, et chacun s'était demandé: d'où
vient-il? de qui tient-il sa fortune princière? où sont ses propriétés? Don
Juan avait acheté, dans la colonie, une estancia, située à deux ou trois
lieues de Carmen, et, sous prétexte de défense contre les Indiens, il
l'avait fortifiée, entourée de fossés et de palissades et munie de six
pièces de canon. Il avait ainsi muré sa vie et déjoué la curiosité.
Quoique son estancia ne s'ouvrit jamais devant aucun hôte, il était
accueilli par les premières familles du Carmen, qu'il visitait assidûment,
pour soudain, au grand étonnement de tous, il disparaissait pendant des
mois entiers. Les dames avaient perdu leurs sourires et leurs oeillades,
les hommes leurs questions adroites pour faire parler don Juan. Don
Luciano Quiros, à qui son poste de gouverneur donnait droit à la
curiosité, ne laissa pas d'avoir quelques inquiétudes au sujet du bel
étranger, mais, de guerre lasse, il en appela au temps qui déchire tôt ou
tard les voiles les plus épais.
Voilà quel était l'homme qui écoutait Chillito dans la clairière, et tout
ce que l'on savait sur son compte.
--Assez! fit-il avec colère en interrompant le gauche; tu es un chien et
un fils de chien.
--Senor! dit Chillito qui redressa la tête.
--J'ai envie de te briser comme un misérable que tu es.
--Des menaces! à moi! s'écria la gaucho pâle de rage et dégainant son
couteau.
Don Juan lui saisit le poignet de sa main gantée, et le lui tordit si
rudement qu'il laissa échapper son arme avec un cri de douleur.
--A genoux! et demande pardon, reprit le gentilhomme; et il jeta
Chillito sur le sol.
--Non, tuez-moi plutôt.
--Va, gueux, retire-toi, tu n'es qu'une bête brute.
Le gaucho se releva en chancelant; Le sang injectais ses yeux, ses
lèvres étaient blêmes, tout son corps tremblait. Il ramassa son couteau
et s'approcha de don Juan, qui l'attendait les bras croisés.
--Eh bien! oui, dit-il, je suis une bête brute, mais je vous aime, après
tout. Pardonnez-moi ou tuez-moi, ne me chassez pas.
--Va-t'en.
--C'est votre dernier mot?
--Oui.
--Au diable, alors!
Et le gaucho, d'un mouvement prompt comme la pensée, leva son arme
pour se frapper.
--Je te pardonne, reprit don Juan qui avait arrêté le bras de Chillito;
mais, si tu veux
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