de mon jardin.
--De votre jardin?
--Je suis jardinier, c'est Martine B��cot qui me les demanda hier.
--Martine! Je ne savais point.
Mme d'��tioles sourit:
--Vous aurez ma pratique. Jasmin!
Elle remonta dans son pha?ton et, ayant retrouv�� toute sa grace, prit les guides et partit.
Jasmin la suivit du regard. Elle disparut d'un coup, par un chemin de traverse.
Le jardinier s'en alla en songeant �� nouveau.
La femme qu'il avait tenue dans ses bras, et dont il se sentit un instant aussi parfum�� que s'il avait port�� une brass��e de fraxinelles, c'��tait Mme d'��tioles! Ces mots chant��rent �� son oreille: Mme d'��tioles! Un sentiment suave descendit dans ses veines, un sentiment triste un peu et profond, tel qu'il n'en avait encore ressenti. Il lui sembla que son ame se fondait. La plaine et le bois lui parurent m��lancoliques comme la fin d'une f��te.
Pouss�� par une force irr��sistible, Jasmin retourna pr��s de l'arbre sous le tronc duquel Mme d'��tioles s'��tait repos��e. Il s'assit. Un rien de parfum flottait encore. Le jardinier ferma les yeux: il revit la grande dame, avec ses oeillades aux reflets de scabieuse et d'or, avec ses l��vres qui brillaient comme des cerises, son front hautain comme une ��toile, ses doigts fusel��s. Quand il releva les paupi��res, il aper?ut, dans l'herbe, la place o�� Mme d'��tioles avait crisp�� sa main. Il se pencha et baisa le gazon ravag��. Puis il se releva brusquement, comme s'il se f?t br?l�� les l��vres, et murmura:
--Je deviens fou.
Au loin la chasse partait du c?t�� de Quincy, les chiens lan?aient leurs abois, au son m��tallique desquels se m��laient les appels des cors. Le vent qui s'��tait lev�� effa?ait sur la route blanche la trace des carrosses et le pas des chevaux. Buguet marcha dans le bois d��sert, regarda le soleil dispara?tre et le ciel doucement violet. Pour regagner son village, il s'engagea dans la plaine qui descendait vers la Seine. Et bient?t, parmi les mille flammes automnales des colchiques, il traversa les grands pr��s et les champs au clair de lune.
II
Quelques semaines plus tard Jasmin prenant son calendrier vit que l'automne commen?ait.
Le ciel ��tait triste. Chaque coup de vent apportait des nuages. Ils formaient de grands camps farouches. La Seine agit��e avait des teintes d'acier.
Jasmin examina les nues, tandis qu'autour de lui la rafale faisait choir les ciroles des grands poiriers.
La m��re Buguet parut:
--Eh bien, fils, tu regardes le pied du temps? Il ne dit rien qui vaille.
Elle continua:
--Je viens de pr��parer le fruitier. Si tu m'en crois, nous cueillerons tout aujourd'hui. Le soleil ne chauffera plus gu��re. Au surplus les reinettes ont bonne mine et les calvilles jaunissent.
Jasmin murmura:
--Vous avez raison, ma m��re.
La Buguet reprit:
--J'ai fait pr��venir Etiennette Lampalaire. Elle nous aidera. Ce n'est point une engourdie.
Jasmin alla dans le petit hangar prendre son ��chelle: il la mit contre un grand pommier, puis il fixa son panier �� un crochet pour le suspendre aux branches. Il monta; l'arbre croulait sous le poids des fruits. Avec pr��caution, Jasmin cueillit les pommes, les d��posa dans une corbeille sans les froisser: car ?toute blessure est pourriture?, il savait cela de naissance.
Quand les paniers furent remplis, la Buguet en prit un �� chaque bras et s'achemina vers la maison. Elle rangea les calvilles sur les claies, la queue en l'air. C'��tait une brave femme. Elle avait travaill�� dur avec son homme, qui ?avait parfois des turlutaines?. Pensez! Il ��tait le neveu d'un ma?tre d'��cole, il savait lire! Savoir lire! Une mauvaise affaire qui mange le temps et d��route l'esprit! Ainsi, pendant que feu Buguet tenait le nez pench�� sur un bouquin, l'ivraie poussait, et si dru que souventes fois la bonne ��pouse vit des semis entiers ��touff��s par les bleuets et les pieds d'alouette: son mari les voulait respecter parce que les bleuets ressemblaient �� ses yeux, �� elle (ah! ?a la faisait rire!) et que les pieds d'alouette donnaient une l��g��ret�� aux fleurs des plates-bandes! Tout ?a, des id��es qui co?tent cher au bout de la vie! Son fils aussi avait parfois l'air d'un songe-creux. Tout le monde cependant aimait Jasmin, il ��tait de bon caract��re; puis--ce qui devient rare!--il savait son m��tier.
--Bien s?r, s'il a la protection d'un duc ou d'un surintendant, il ira loin! disaient les gens.
Mais il arrivait �� Jasmin de se montrer distrait, m��me triste. Ces derni��res semaines surtout. Plus de sourire, plus de ga?t��! Il r��fl��chissait �� Dieu sait quoi! C'��tait depuis la chasse royale. Avait-il envie de se faire piqueux ou chevau-l��ger? Folie, lorsqu'on poss��de un bon m��tier et qu'on est s?r d'avoir chaque jour sa cro?te �� rompre et son lit bien chaud. Aussi La Buguet ouvre l'oeil! Elle esp��re vivre assez longtemps pour marier son fils �� une bonne m��nag��re, qui ?veillera au grain?.
Mais Tiennette arrive. Ses cheveux noirs, d��jet��s par le vent, le sourire clair de ses l��vres retrouss��es, son visage hal��, ses
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