Le dinier de la Pompadour | Page 4

Eugène Demolder
Villeroi, �� l'extr��mit�� de l'all��e que barraient les grenadiers, une foule multicolore papillonnait, jetait et m��lait des taches blanches, pourpres, jaunes. De clairs personnages sortaient des coulisses de l'horizon. Ils apparaissaient, disparaissaient. Au-dessus de ce mouvant spectacle ray�� par un soleil de clairi��re, les vols de corbeaux se d��bandaient par crainte des hourvaris et du forhu.
Les deux gar?ons descendirent de carriole. Et tout �� coup Jasmin se sentit intimid��. Il allait voir le Roi! Cette id��e bouleversa son coeur. Dans les chateaux o�� il taillait les charmilles, il avait souvent entendu parler de Louis XV. Il savait la puissance du souverain: il lui parut que la for��t la recelait enti��re, que les cors allaient annoncer la pr��sence d'une chose formidable.
Eustache avait pris dans la voiture du pain et du fromage; il entra?na Jasmin vers les taillis.
Ils se faufil��rent sous les ram��es. Des gardes de la maison du roi emp��chaient d'approcher du carrefour, ?o�� l'on sert une halte �� Sa Majest��?, dirent-ils.
Heureusement Eustache rencontra un valet de chiens de sa connaissance; grace �� lui ils purent approcher.
--Regardez! dit le domestique.
Au bord de la route c'��tait d'abord les chevaux de la suite royale. Parmi eux, un tout blanc:
--Le cheval du roi, murmura le valet.
Un autre, isabelle dor��, avec la raie de mulet et les crins noirs.
--Celui de la duchesse de Chateauroux, continua le piqueur.
Cependant cette cavalerie �� ��triers vides emp��chait les amis de voir: ils grimp��rent dans un orme et choisirent en ses fourches un commode observatoire.
Aux pieds des ch��nes et des bouleaux o�� sont accroch��s les cors et les couteaux de chasse, c'est un fracas d'uniformes, une all��e et venue de chevau-l��gers, de meutes tenues en laisse, un effarement de marmitons qui portent sur de grands plats des hures, des li��vres r?tis et des fruits. Les h��tres abritent le repos de mules �� panaches et oreill��res de cuivre. Et partout o�� s'��tendent de l'herbe et, un peu d'ombre, des seigneurs, des officiers, des dames se r��galent, assis ou couch��s autour de nappes jet��es sur le sol.
Jasmin est ��bloui. Cette cour qui s'��bat parmi les mousses, l'attrait de ces visages, l'��tourderie de ces amazones qui m��nagent des retroussis de jupes d'o�� sortent de jolis pieds chauss��s de maroquin violet, ces gentilshommes qui arborent des cordons bleus sur la poitrine et appuient la main sur leur coeur, ces abandons aimables, tout le charme de cette aristocratie, que le jardinier a d��j�� entrevue dans les chateaux de Melun, le ravissent.
--Que c'est beau! murmure-t-il.
Eustache lui souffle:
--Le Roi!
--O��?
--L��!
Louis XV est assis au milieu d'un grand tapis. Sur un habit de velours pourpre �� larges galons il porte des dentelles, et sur sa perruque poudr��e un chapeau bord�� de plume blanche. Des laquais s'empressent: ils pr��sentent �� Sa Majest�� un pat��; elle refuse et baille.
Jasmin remarque que le Roi a le visage rose et rond. Louis XV fait des gestes lents, porte paresseusement �� sa bouche une cuisse de poulet et la jette au petit ��pagneul qui se roule �� c?t�� de son assiette. Puis il baille encore et se penche vers la dame install��e pr��s de lui.
--La duchesse de Chateauroux, explique Eustache, qui a travaill�� �� Paris et conna?t certaines moeurs de la cour.
--Ce n'est pas la Reine?
--C'est la ma?tresse du Roi.
La duchesse a la figure pale sous le tricorne de chasse et para?t souffrante dans sa robe jaune. Elle sursaute aux paroles du Roi et Jasmin, �� qui rien n'��chappe, voit son visage se contracter, ses joues devenir livides.
--On dirait qu'elle va mourir, murmure le jardinier.
Une chose l'inqui��te davantage: le Roi! Malgr�� l'air d'ennui que se donne le souverain, un prestige l'entoure aux yeux du jouvenceau. Car on a dit �� Jasmin qu'il faut savoir mourir pour lui, que c'est le chef qui dirige les batailles et remporte les victoires. Le fleuriste ne peut s'imaginer Louis XV qu'�� travers cette illustration. Pourtant il souhaiterait son ma?tre plus imp��rieux, d'une allure virile et gaie. Il regrette que le Roi de France ait ce pli d'amertume qui se creuse par instant aux commissures de ses l��vres et ce regard qui se pose avec m��pris. Il se rappelle une gravure o�� Louis XV a le front libre, l'oeil franc, le teint fleuri, l'air �� la fois doux et conqu��rant, et o�� il fait penser en m��me temps au pigeon ramier et �� l'aigle. Jasmin s'assure que c'est ainsi que le Roi doit ��tre et dans le personnage distrait et fatigu�� il revoit le prince magnanime de la gravure.
Pendant que Buguet se livrait �� ces r��flexions, sur la route, du c?t�� de Montgeron, apparut au soleil un attelage ��clatant qui jeta des reflets aux orni��res et brilla comme un astre inattendu. Plusieurs seigneurs sursaut��rent, se firent une visi��re de la main pour mieux voir.
L'apparition se dessina. Les courtisans distingu��rent une femme en rose dans un pha?ton d'azur attel�� de
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