Le din dEpicure | Page 5

Anatole France
de briller tout le jour dans le ciel noir, travers l'air glacial. Voil�� ce qu'ils verront; mais, dans leur stupidit��, ils ne sauront m��me pas qu'ils voient quelque chose. Un jour, le dernier d'entre eux exhalera sans haine et sans amour dans le ciel ennemi le dernier souffle humain. Et la terre continuera de rouler, emportant �� travers les espaces silencieux les cendres de l'humanit��, les po��mes d'Hom��re et les augustes d��bris des marbres grecs, attach��s �� ses flancs glac��s. Et aucune pens��e ne s'��lancera plus vers l'infini, du sein de ce globe o�� l'ame a tant os��, au moins aucune pens��e d'homme. Car qui peut dire si alors une autre pens��e ne prendra pas conscience d'elle-m��me et si ce tombeau o�� nous dormirons tous ne sera pas le berceau d'une ame nouvelle? De quelle ame, je ne sais. De l'ame de l'insecte, peut-��tre. A c?t�� de l'homme, malgr l'homme, les insectes, les abeilles, par exemple, et les fourmis ont d��j�� fait des merveilles. Il est vrai que les fourmis et les abeilles veulent comme nous de la lumi��re et de la chaleur. Mais il y a des invert��br��s moins frileux. Qui conna?t l'avenir r��serv�� �� leur travail et �� leur patience?
Qui sait si la terre ne deviendra pas bonne pour eux quand elle aura cess�� de l'��tre pour nous? Qui sait s'ils ne prendront pas un jour conscience d'eux et du monde? Qui sait si �� leur tour ils ne loueront pas Dieu?

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A Lucien Muhlfeld.
Nous ne pouvons nous repr��senter avec exactitude ce qui n'existe plus. Ce que nous appelons la couleur locale est une r��verie. Quand on voit qu'un peintre a toutes les peines du monde reproduire d'une mani��re �� peu pr��s vraisemblable une sc��ne du temps de Louis-Philippe, on d��sesp��re qu'il nous rende jamais la moindre id��e d'un ��v��nement contemporain de saint Louis ou d'Auguste. Nous nous donnons bien du mal pour copier de vieilles armes et de vieux coffres. Les artistes d'autrefois ne s'embarrassaient point de cette vaine exactitude. Ils pr��taient aux h��ros de la l��gende ou de l'histoire le costume et la figure de leurs contemporains. Ainsi nous peignirent-ils naturellement leur ame et leur si��cle. Un artiste peut-il mieux faire? Chacun de leurs personnages ��tait quelqu'un d'entre eux. Ces personnages, anim��s de leur vie et de leur pens��e, restent jamais touchants. Ils portent �� l'avenir t��moignage de sentiments ��prouv��s et d'��motion v��ritables. Des peintures arch��ologiques ne t��moignent que de la richesse de nos mus��es.
Si vous voulez go?ter l'art vrai et ressentir devant un tableau une impression large et profonde, regardez les fresques de Ghirlandajo, �� Santa-Maria-Novella de Florence, la Naissance de la Vierge. Le vieux peintre nous montre la chambre de l'accouch��e. Anne, soulev��e sur son lit, n'est ni belle ni jeune; mais on voit tout de suite que c'est une bonne m��nag��re. Elle a rang�� au chevet de son lit un pot de confitures et deux grenades. Une servante, debout �� la ruelle, lui pr��sente un vase sur un plateau. On vient de laver l'enfant, et le bassin de cuivre est encore au milieu de la chambre. Maintenant la petite Marie boit le lait d'une belle nourrice. C'est une dame de la ville, une jeune m��re qui a voulu gracieusement offrir le sein l'enfant de son amie, afin que cet enfant et le sien, ayant bu la vie aux m��mes sources, en gardent le m��me go?t et, par la force de leur sang, s'aiment fraternellement. Pr��s d'elle, une jeune femme qui lut ressemble, ou plut?t une jeune fille, sa soeur peut-��tre, richement v��tue, le front d��couvert et portant des nattes sur les tempes comme ��milia Pia, ��tend les deux bras vers le petit enfant, avec un geste charmant o�� se trahit l'��veil de l'instinct maternel. Deux nobles visiteuses, habill��es �� la mode de Florence, entrent dans la chambre. Elles sont suivies d'une servante qui porte sur la t��te des past��ques et des raisins, et cette figure d'une ample beaut��, drap��e �� l'antique, ceinte d'une ��charpe flottante, appara?t dans cette sc��ne domestique et pieuse comme je ne sais quel r��ve pa?en. Eh bien! dans cette chambre ti��de, sur ces doux visages de femme, je vois toute la belle vie florentine et la fleur de la premi��re Renaissance. Le fils de l'orf��vre, le ma?tre des premi��res heures, a dans sa peinture, claire comme l'aube d'un jour d'��t��, r��v��l�� tout le secret de cet age courtois dans lequel il eut le bonheur de vivre et dont le charme ��tait si grand que ses contemporains eux-m��mes s'��criaient: ?Dieux bons! le bienheureux si��cle!
L'artiste doit aimer la vie et nous montrer qu'elle est belle. Sans lui, nous en douterions.

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L'ignorance est la condition n��cessaire, je ne dis pas du bonheur, mais de l'existence m��me. Si nous savions tout, nous ne pourrions pas supporter la vie une heure. Les
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