Le din dEpicure | Page 3

Anatole France
rendre en m��me temps la volupt�� infiniment pr��cieuse.
En consid��ration de leur beaut��, l'��glise fit d'Aspasie, de La?s et de Cl��opatre des d��mons, des dames de l'enfer. Quelle gloire! Une sainte m��me n'y serait pas insensible. La femme la plus modeste et la plus aust��re, qui ne veut ?ter le repos �� aucun homme, voudrait pouvoir l'?ter �� tous les hommes. Son orgueil s'accommode des pr��cautions que l'��glise prend contre elle. Quand le pauvre saint Antoine lui crie: ?Va-t'en, b��te!? cet effroi la flatte. Elle est ravie d'��tre plus dangereuse qu'elle ne l'e?t soup?onn��.
Mais ne vous flattez point, mes soeurs; vous n'avez pas paru en ce monde parfaites et arm��es. Vous f?tes humbles �� votre origine. Vos a?eules du temps du mammouth et du grand ours ne pouvaient point sur les chasseurs des cavernes ce que vous pouvez sur nous. Vous ��tiez utiles alors, vous ��tiez n��cessaires; vous n'��tiez pas invincibles. A dire vrai, dans ces vieux ages, et pour longtemps encore, il vous manquait le charme. Alors vous ressembliez aux hommes et les hommes ressemblaient aux b��tes. Pour faire de vous la terrible merveille que vous ��tes aujourd'hui, pour devenir la cause indiff��rente et souveraine des sacrifices et des crimes, il vous a fallu deux choses: la civilisation qui vous donna des voiles et la religion qui nous donna des scrupules. Depuis lors, c'est parfait: vous ��tes un secret et vous ��tes un p��ch��. On r��ve de vous et l'on se damne pour vous. Vous inspirez le d��sir et la peur; la folie d'amour est entr��e dans le monde. C'est un infaillible instinct qui vous incline �� la pi��t��. Vous avez bien raison d'aimer le christianisme. Il a d��cupl�� votre puissance. Connaissez-vous saint J��r?me? A Rome et en Asie, vous lui f?tes une telle peur qu'il alla vous fuir dans un affreux d��sert. L��, nourri de racines crues et si br?l�� par le soleil qu'il n'avait plus qu'une peau noire et coll��e aux os, il vous retrouvait encore. Sa solitude ��tait pleine de vos images, plus belles encore que vous-m��mes.
Car c'est une v��rit�� trop ��prouv��e des asc��tes que les r��ves que vous donnez sont plus s��duisants, s'il est possible, que les r��alit��s que vous pouvez offrir. J��r?me repoussait avec une ��gale horreur votre souvenir et votre pr��sence. Mais il se livrait en vain aux je?nes et aux pri��res; vous emplissiez d'illusions sa vie dont il vous avait chass��es. Voil�� la puissance de la femme sur un saint. Je doute qu'elle soit aussi grande sur un habitu�� du Moulin-Rouge. Prenez garde qu'un peu de votre pouvoir ne s'en aille avec la foi et que vous ne perdiez quelque chose �� ne plus ��tre un p��ch��.
Franchement, je ne crois pas que le rationalisme soit bon pour vous. A votre place, je n'aimerais gu��re les physiologistes qui sont indiscrets, qui vous expliquent beaucoup trop, qui disent que vous ��tes malades quand nous vous croyons inspir��es et qui appellent pr��dominance des mouvements r��flexes votre facult sublime d'aimer et de souffrir. Ce n'est point de ce ton qu'on parle de vous dans la L��gende dor��e: on vous y nomme blanche colombe, lis de puret��, rose d'amour. Cela est plus agr��able que d'��tre appel��e hyst��rique, hallucin��e et cataleptique, comme on vous appelle journellement depuis que la science a triomph��.
Enfin si j'��tais de vous, j'aurais en aversion tous les ��mancipateurs qui veulent faire de vous les ��gales de l'homme. Ils vous poussent �� d��choir. La belle affaire pour vous d'��galer un avocat ou un pharmacien! Prenez garde: d��j�� vous avez d��pouill�� quelques parcelles de votre myst��re et de votre charme. Tout n'est pas perdu: on se bat, on se ruine, on se suicide encore pour vous; mais les jeunes gens assis dans les tramways vous laissent debout sur la plate-forme. Votre culte se meurt avec les vieux cultes.

* * *
Les joueurs jouent comme les amoureux aiment, comme les ivrognes boivent, n��cessairement, aveugl��ment, sous l'empire d'une force irr��sistible. Il est des ��tres vou��s au jeu, comme il est des ��tres vou��s �� l'amour. Qui donc a invent�� l'histoire de ces deux matelots poss��d��s de la fureur du jeu? Ils firent naufrage et n'��chapp��rent �� la mort, apr��s les plus terribles aventures, qu'en sautant sur le dos d'une baleine. Aussit?t qu'ils y furent, ils tir��rent de leur poche leurs d��s et leurs cornets et se mirent �� jouer. Voil�� une histoire plus vraie que la v��rit��. Chaque joueur est un de ces matelots-l��. Et certes, il y a dans le jeu quelque chose qui remue terriblement toutes les fibres des audacieux. Ce n'est pas une volupt�� m��diocre que de tenter le sort. Ce n'est pas un plaisir sans ivresse que de go?ter en une seconde des mois, des ann��es, toute une vie de crainte et d'esp��rance. Je n'avais pas dix ans quand M. Gr��pinet, mon professeur de neuvi��me, nous
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