de briller tout le jour dans le ciel noir, travers l'air glacial. Voilà ce qu'ils verront; mais, dans leur stupidité, ils ne sauront même pas qu'ils voient quelque chose. Un jour, le dernier d'entre eux exhalera sans haine et sans amour dans le ciel ennemi le dernier souffle humain. Et la terre continuera de rouler, emportant à travers les espaces silencieux les cendres de l'humanité, les poèmes d'Homère et les augustes débris des marbres grecs, attachés à ses flancs glacés. Et aucune pensée ne s'élancera plus vers l'infini, du sein de ce globe où l'ame a tant osé, au moins aucune pensée d'homme. Car qui peut dire si alors une autre pensée ne prendra pas conscience d'elle-même et si ce tombeau où nous dormirons tous ne sera pas le berceau d'une ame nouvelle? De quelle ame, je ne sais. De l'ame de l'insecte, peut-être. A c?té de l'homme, malgr l'homme, les insectes, les abeilles, par exemple, et les fourmis ont déjà fait des merveilles. Il est vrai que les fourmis et les abeilles veulent comme nous de la lumière et de la chaleur. Mais il y a des invertébrés moins frileux. Qui conna?t l'avenir réservé à leur travail et à leur patience?
Qui sait si la terre ne deviendra pas bonne pour eux quand elle aura cessé de l'être pour nous? Qui sait s'ils ne prendront pas un jour conscience d'eux et du monde? Qui sait si à leur tour ils ne loueront pas Dieu?
* * *
A Lucien Muhlfeld.
Nous ne pouvons nous représenter avec exactitude ce qui n'existe plus. Ce que nous appelons la couleur locale est une rêverie. Quand on voit qu'un peintre a toutes les peines du monde reproduire d'une manière à peu près vraisemblable une scène du temps de Louis-Philippe, on désespère qu'il nous rende jamais la moindre idée d'un événement contemporain de saint Louis ou d'Auguste. Nous nous donnons bien du mal pour copier de vieilles armes et de vieux coffres. Les artistes d'autrefois ne s'embarrassaient point de cette vaine exactitude. Ils prêtaient aux héros de la légende ou de l'histoire le costume et la figure de leurs contemporains. Ainsi nous peignirent-ils naturellement leur ame et leur siècle. Un artiste peut-il mieux faire? Chacun de leurs personnages était quelqu'un d'entre eux. Ces personnages, animés de leur vie et de leur pensée, restent jamais touchants. Ils portent à l'avenir témoignage de sentiments éprouvés et d'émotion véritables. Des peintures archéologiques ne témoignent que de la richesse de nos musées.
Si vous voulez go?ter l'art vrai et ressentir devant un tableau une impression large et profonde, regardez les fresques de Ghirlandajo, à Santa-Maria-Novella de Florence, la Naissance de la Vierge. Le vieux peintre nous montre la chambre de l'accouchée. Anne, soulevée sur son lit, n'est ni belle ni jeune; mais on voit tout de suite que c'est une bonne ménagère. Elle a rangé au chevet de son lit un pot de confitures et deux grenades. Une servante, debout à la ruelle, lui présente un vase sur un plateau. On vient de laver l'enfant, et le bassin de cuivre est encore au milieu de la chambre. Maintenant la petite Marie boit le lait d'une belle nourrice. C'est une dame de la ville, une jeune mère qui a voulu gracieusement offrir le sein l'enfant de son amie, afin que cet enfant et le sien, ayant bu la vie aux mêmes sources, en gardent le même go?t et, par la force de leur sang, s'aiment fraternellement. Près d'elle, une jeune femme qui lut ressemble, ou plut?t une jeune fille, sa soeur peut-être, richement vêtue, le front découvert et portant des nattes sur les tempes comme émilia Pia, étend les deux bras vers le petit enfant, avec un geste charmant où se trahit l'éveil de l'instinct maternel. Deux nobles visiteuses, habillées à la mode de Florence, entrent dans la chambre. Elles sont suivies d'une servante qui porte sur la tête des pastèques et des raisins, et cette figure d'une ample beauté, drapée à l'antique, ceinte d'une écharpe flottante, appara?t dans cette scène domestique et pieuse comme je ne sais quel rêve pa?en. Eh bien! dans cette chambre tiède, sur ces doux visages de femme, je vois toute la belle vie florentine et la fleur de la première Renaissance. Le fils de l'orfèvre, le ma?tre des premières heures, a dans sa peinture, claire comme l'aube d'un jour d'été, révélé tout le secret de cet age courtois dans lequel il eut le bonheur de vivre et dont le charme était si grand que ses contemporains eux-mêmes s'écriaient: ?Dieux bons! le bienheureux siècle!
L'artiste doit aimer la vie et nous montrer qu'elle est belle. Sans lui, nous en douterions.
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L'ignorance est la condition nécessaire, je ne dis pas du bonheur, mais de l'existence même. Si nous savions tout, nous ne pourrions pas supporter la vie une heure. Les
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