se mettre en marche au point du jour
pour William-Henry, fort situé à l'extrémité septentrionale du portage. Ce qui d'abord
n'était qu'un bruit devint bientôt une certitude, car des ordres arrivèrent du quartier
général du commandant en chef, pour enjoindre aux corps qu'il avait choisis pour ce
service, de se préparer promptement à partir.
Il ne resta donc plus aucun doute sur les intentions de Webb, et pendant une heure ou
deux, on ne vit que des figures inquiètes et des soldats courant çà et là avec précipitation.
Les novices dans l'art militaire[9] allaient et venaient d'un endroit à l'autre, et retardaient
leurs préparatifs de départ par un empressement dans lequel il entrait autant de
mécontentement que d'ardeur. Le vétéran, plus expérimenté, se disposait au départ avec
ce sang- froid qui dédaigne toute apparence de précipitation; quoique ses traits
annonçassent le calme, son oeil inquiet laissait assez voir qu'il n'avait pas un goût bien
prononcé pour cette guerre redoutée des forêts, dont il n'était encore qu'à l'apprentissage.
Enfin le soleil se coucha parmi des flots de lumière derrière les montagnes lointaines
situées à l'occident, et lorsque l'obscurité étendit son voile sur la terre en cet endroit retiré,
le bruit des préparatifs de départ diminua peu à peu. La dernière lumière s'éteignit enfin
sous la tente de quelque officier; les arbres jetèrent des ombres plus épaisses sur les
fortifications et sur la rivière, et il s'établit dans tout le camp un silence aussi profond que
celui qui régnait dans la vaste forêt.
Suivant les ordres donnés la soirée précédente, le sommeil de l'armée fut interrompu par
le roulement du tambour, que les échos répétèrent, et dont l'air humide du matin porta le
bruit de toutes parts jusque dans la forêt, à l'instant où le premier rayon du jour
commençait à dessiner la verdure sombre et les formes irrégulières de quelques grands
pins du voisinage sur l'azur plus pur de l'horizon oriental. En un instant tout le camp fut
en mouvement, jusqu'au dernier soldat; chacun voulait être témoin du départ de ses
camarades, des incidents qui pourraient l'accompagner, et jouir d'un moment
d'enthousiasme.
Le détachement choisi fut bientôt en ordre de marche. Les soldats réguliers et soudoyés
de la couronne prirent avec fierté la droite de la ligne, tandis que les colons, plus humbles,
se rangeaient sur la gauche avec une docilité qu'une longue habitude leur avait rendue
facile. Les éclaireurs partirent; une forte garde précéda et suivit les lourdes voitures qui
portaient le bagage; et dès le point du jour le corps principal des combattants se forma en
colonne, et partit du camp avec une apparence de fierté militaire qui servit à assoupir les
appréhensions de plus d'un novice qui allait faire ses premières armes. Tant qu'ils furent
en vue de leurs camarades, on les vit conserver le même ordre et la même tenue. Enfin le
son de leurs fifres s'éloigna peu à peu, et la forêt sembla avoir englouti la masse vivante
qui venait d'entrer dans son sein.
La brise avait cessé d'apporter aux oreilles des soldats restés dans le camp le bruit de la
marche de la colonne invisible qui s'éloignait; le dernier des traîneurs avait déjà disparu à
leurs yeux; mais on voyait encore des signes d'un autre départ devant une cabane
construite en bois, d'une grandeur peu ordinaire, et devant laquelle étaient en faction des
sentinelles connues pour garder la personne du général anglais. Près de là étaient six
chevaux caparaçonnés de manière à prouver que deux d'entre eux au moins étaient
destinés à être montés par des femmes d'un rang qu'on n'était pas habitué à voir pénétrer
si avant dans les lieux déserts de ce pays. Un troisième portait les harnais et les armes
d'un officier de l'état-major. La simplicité des accoutrements des autres et les valises dont
ils étaient chargés prouvaient qu'ils étaient destinés à des domestiques qui semblaient
attendre déjà le bon plaisir de leurs maîtres. À quelque distance de ce spectacle
extraordinaire il s'était formé plusieurs groupes de curieux et d'oisifs; les uns admirant
l'ardeur et la beauté du noble cheval de bataille, les autres regardant ces préparatifs avec
l'air presque stupide d'une curiosité vulgaire. Il y avait pourtant parmi eux un homme qui,
par son air et ses gestes, faisait une exception marquée à ceux qui composaient cette
dernière classe de spectateurs.
L'extérieur de ce personnage était défavorable au dernier point, sans offrir aucune
difformité particulière. Debout, sa taille surpassait celle de ses compagnons; assis, il
paraissait réduit au-dessous de la stature ordinaire de l'homme. Tous ses membres
offraient le même défaut d'ensemble. Il avait la tête grosse, les épaules étroites, les bras
longs, les mains petites et presque délicates, les cuisses et les jambes grêles, mais d'une
longueur démesurée, et ses genoux monstrueux l'étaient moins encore que les deux pieds
qui soutenaient
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