la ligne à côté de son mari, et seule à côté de
son mari; elle pêcha à la ligne le matin et l'après-midi sans relâche. Le
couple était à la pêche quand nous descendions prendre notre premier
déjeuner, le matin. Il nous quittait après le repas de midi pour aller à la
pêche. Il ne se laissait revoir de nous qu'à la tombée du jour.
Rappelez-vous que la jeune madame des Gaudrées m'était apparue dans
son petit parterre, une longue canne à la main: c'était un bambou divisé
en trois fragments s'avalant l'un l'autre: une magnifique canne à pêche.
--Et que faisait, s'il vous plaît, le vicomte d'Espluchard?
--Le vicomte d'Espluchard fut tout bonnement mon grand secours. Le
vicomte d'Espluchard, ainsi que je vous l'ai dit, possédait une
automobile, et son bonheur consistait à faire des randonnées par toute
la région. Il m'offrit une place à côté de lui, dès le premier jour. Parfois
il emmenait galamment la vieille mère et sa fille. Ces dames le
bénissaient.
--Ah! dit Bernereau, et le soir, dites-moi un peu, que faisiez-vous au
manoir?
--Le vicomte était aussi bon musicien qu'homme de sport. La vieille
fille, chose curieuse, jouait du violon de façon remarquable. Tous deux
nous exécutaient des sonates.
--Les amoureux, durant ce concert, ne vous gênaient-ils plus?
--Ils ne nous gênaient pas, en effet. Des Gaudrées se prétendait sourd à
tout instrument; il sortait; il allait, disait-il, se dégourdir les jambes
dans le parc. Vous pensez: il était assis depuis le petit matin «sur la
berge de la rivière poissonneuse!»
--Et sa femme?
--Sa femme l'accompagnait.
--Ah!
--Madame des Gaudrées, mère, disait:
«--Nous avons connu Hélène jeune fille; elle adorait la musique...
«--Et aimait-elle la pêche à la ligne? demandai-je.
«--Elle n'y avait jamais songé, me répondit en souriant la vieille dame.»
--Ah! ah! fit Bernereau.
--Qu'avez-vous à faire: «Ah!» et «Ah ah!», Bernereau?
--Moi? je marque, simplement.
--Mais, observa M. de Soucelles, quand donc aperceviez-vous la belle
madame des Gaudrées de qui vous vous êtes dit si entiché?
--Hélas! nous ne la voyions guère qu'aux repas, un peu avant, parfois,
et aussi un peu après, et puis le dimanche à la messe. Son mari était fort
pieux.
--Et elle?
--Elle l'était devenue.
--Ah! ah! ah!
--Bernereau!
--Je marque, mon bon ami, je marque.
--En quoi vous importe ce détail? Ce n'est pas la première fois qu'une
femme embrasse en même temps que l'homme qu'elle aime tout ce que
celui-ci peut aimer!
--Ce n'est pas la première fois; mais, dans le cas présent, cela
m'intéresse.
--A votre aise, Bernereau! J'en reviens à la question posée par M. de
Soucelles et qui correspond à ce qui, moi, m'intéressait le plus dans
l'affaire: effectivement, nous voyions trop peu Hélène des Gaudrées.
Mais, soit aux repas, soit ailleurs, quand elle ne regardait pas son mari,
la voir, seulement la voir, était, je l'avoue, un délice. Le son de sa voix
aussi m'enchantait; ses formes me remplissaient d'admiration; et il n'y
avait pas jusqu'à son regard, même avili par l'usage qu'elle en faisait,
qui ne me causât un sombre ravissement...
--Le cousin sportif, lui, à tout cela, était indifférent?
--Vous devinez qu'au cours de nos nombreuses sorties en voiture et de
nos déjeuners dans les auberges, je n'allai point sans faire part à mon
compagnon des attraits exercés sur moi par sa cousine. Il me dit:
«--Vous êtes comme les freluquets qui bourdonnaient autour d'elle
avant son mariage.
«--Elle a dû être fort courtisée?
«--Énormément!
«--Comme vous dites cela! En seriez-vous étonné?
«--Moi, me répondit le vicomte, ça m'a toujours paru drôle, vous
comprenez, parce que j'ai joué avec elle gamine...»
«Je suis convaincu que d'Espluchard était sincère.
--Mais, sapristi! que faisait-il là?
--Il était cousin. Il faisait là de l'automobile et de la musique comme il
en eût fait ailleurs. Il jouait le rôle de boute-en-train. Et la vieille dame
le favorisait. Fort bel homme, séduisant, il faisait fi de la galanterie.
J'eusse voulu quelques mois d'intimité avec lui pour être autorisé à lui
dire que la passion de sa cousine me semblait baroque et était irritante,
mais, il me dit un jour, à propos d'une autre aventure amoureuse:
«--Ces choses-là sont toujours risibles.»
«Voilà quel était d'Espluchard. Si j'ajoute que mademoiselle des
Gaudrées, trente ans passés et plus laide que son frère, était folle du
personnage, cela ne vous offrira rien d'étonnant ni qui vous puisse
captiver.
--Si fait! s'écria Bernereau, et rien ne peut m'intéresser davantage.
--Du diable si je comprends le jeu de Bernereau.
--Qu'importe! Je marque. Allez, toujours.
--Bernereau, observa M. de Soucelles, est un vieux chien de chasse. Il
tient la piste. Laissons-le.
--Le diable m'emporte, reprit M. Briçonnet, si j'ai désigné mes gens de
façon qu'on les reconnaisse.
--Ah! si vous les travestissez complètement, c'est malhonnête... Écoutez:
vous nous jurez, sur l'honneur, que
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