de même! Ils lui devaient un hommage, et tant pis si l'expression en est un peu crue!
Et, pour rester sincère, j'avouerai qu'il y eut chez moi, après l'inoffensive issue de cette
aventure, plus de déconvenue que de soulagement.
Il recommençait de tomber une tiède et intermittente pluie d'orage, d'un orage honteux et
contraint. Tout ce que notre terre contient de désir morne et refoulé, de leurre poursuivi et
d'amour éludé, de forces aux prises avec l'inertie, se résumait, à cette heure, dans ces
solitudes, dans la cloche qui balbutiait l'angelus de midi, dans la terre qui suait, dans cette
chaleur blanche comme certaines colères, dans les arbres flagellés par l'ondée et ne
cessant d'expirer leurs sèves sans parvenir à en saturer l'impassible, l'implacable espace,
mais surtout dans notre accablant silence trahissant une gêne réciproque et mettant entre
nous un secret ou plutôt une sécrétion.
Sans souci des représailles annoncées par la terrienne, pour te donner contenance, tu
complétais ta moisson d'améthystes fleuries. Que craindre encore? Un essaim d'abeilles
autrement farouches et gloutonnes t'avait guignée et menacée là-bas, au tournant du
cimetière.
Tacitement nous prîmes un autre chemin pour regagner la grand'route banale et le non
moins banal railway.
En retournant sur nos pas, nous n'aurions plus trouvé, assemblés au carrefour, tes
inquiétants admirateurs.... Pourquoi éprouvais-je le besoin de mettre des lieues entre nous
et le tilleul de Zoersel? Plus nous nous en éloignions, plus l'arbre tutélaire et sa nichée de
rustres florissants m'obstruaient la mémoire.
Et, durant toute cette journée de pathétique villégiature, tant au départ qu'au retour, la
nature panthée fut de connivence avec nous, ou mieux, elle nous tourmenta de son
malaise, de sa crise, de sa passion sourde qui n'éclatait pas.
Et nous nous boudions, par contagion, comme le soleil boudait la terre; et nous aspirions
à je ne sais quel redoutable inconnu!
Hélas, pauvres nous, venus dans cette contrée vivifiante pour y ragoûter notre mutuelle
tendresse, sentions s'y fondre, s'y anéantir, tout ce qui nous restait d'ardeur l'un pour
l'autre! Nous ne nous suffisions plus....
Le souvenir d'un stupide article de journal! Telle l'origine de notre inavouable
malentendu.
Les éléments avaient pris un malin plaisir à entretenir, d'heure en heure, ce germe de
dissentiment, en me suggérant dès la descente du tramway, une anormale et pernicieuse
admiration pour les destructeurs.
L'aspect sous lequel s'annonça leur contrée justifia leur excessive originalité. Sous peine
de discordance, c'était bien ainsi que devaient se comporter envers les civilisés les
terriens de ce terroir! Ils ne pouvaient mentir à leur milieu farouche et hallucinant.
L'après-midi déclinait lorsque nous nous aventurâmes dans la vaste «Bruyère des
Vanneaux».
Il avait fait, je ne saurais assez insister sur ce point, gris, opaque et énervant, tout le jour,
avec des éclaircies ambiguës, des sourires faux, des rages en dedans. La température
affectait des accablements et des suffocations, comme d'un coeur qui voudrait s'ouvrir
mais qui n'ose, et qui se dissout faute de s'épancher.
Et voilà que, tout à coup, le soleil boudeur et taquin, las de son jeu cruel et de ses
éternelles refuites, sur le point de quitter l'horizon, se décida à en finir une bonne fois
avec sa victime et, déchirant enfin sa tunique de nuages, vautra la plaine, navrée, mit
l'horizon à feu et à sang, consomma son rouge viol.
Alors seulement, chère ange, débarrassé de mon idée fixe, de ma délétère obsession, je te
jetai à la dérobée un regard de compassion et de tendresse, tandis que la bruyère
t'éclaboussait de ses rubis....
Et ce fut comme si quelque victime d'expiation venait d'être livrée à ta place, aux
amoureux en peine, sous le tilleul fatidique.
HIEP-HIOUP!
La ferme du Boschhof ou «Maison Forestière» était située entre Wortel et Ippenroy.
Pays désolé mais plein de caractère, comme disent les peintres d'aujourd'hui: des bruyères
couleur de rouille, des sapins d'un vert noirâtre, des genêts d'or, çà et là un de ces marais
glauques et figés, entourés de genévriers, que nos paysans appellent vennes, de rares
chênayes, des cultures plus rares, trois ou quatre clochers ayant l'air de se faire des
signaux par-dessus des lieues de landes, et presque toujours un grand ciel nuageux, aussi
mobile, aussi tourmenté que la plaine est quiète et amortie.
Le contraste s'étend du décor à la population: au noyau des habitants primitifs, gens
résignés et laborieux, sont venus s'ajouter, à cause du voisinage de la frontière
hollandaise et du Dépôt de mendicité d'Hoogstraeten, quelques rafalés, d'humeur moins
chrétienne, vivant de contrebande, de braconnage et de maraude.
Les Overmaat, habitants du Boschhof, de père en fils, fermiers et gardes forestiers des
comtes de Thyme, grande famille néerlandaise aujourd'hui éteinte, passaient pour les
paysans les plus aisés de la contrée.
Jakkè Overmaat, le dernier garde, était un superbe gaillard de vingt-cinq ans. «Solide
comme le chêne, droit comme le sapin,
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