reconduire nos singuli��res compagnes. Son sourire me froissa, je n'avais plus que mauvaise humeur d'��tre m��l�� �� une aventure de cet ordre. Je comptais bien ne pas m'y attarder cinq minutes! et par la suite je lui ai d? de prendre conscience de deux ou trois sentiments qui jusqu'alors avaient sommeill�� en moi.
Dans la voiture, la petite fille s'assit entre sa soeur et moi, et comme c'��tait tout de m��me une enfant de dix ans, elle nous prit la main �� tous deux. Sur mes questions, elle me raconta d'un ton tr��s doux le d��tail et la fatigue de ses journ��es de petite danseuse, en appelant ses camarades par leurs noms et avec des mots d'argot qui me rendaient assez gauche. Elle n'��tait �� Paris que depuis quelques mois et avait ��t�� ��lev��e dans le Languedoc, �� Joign��.
--Ah! m'��criai-je, comme parlant �� moi-m��me, le beau mus��e qu'on y trouve!
--Vous l'aimez? demanda B��r��nice en me serrant de sa petite main chaude.
Je lui dis y avoir pass�� des heures excellentes et leur en donnai des d��tails.
--Notre p��re ��tait gardien de ce mus��e, me dit la grande soeur; c'est l�� que B��r��nice se plaisait; elle pleure chaque fois qu'elle y pense.
--Et pourquoi pleurez-vous, petite fille?
Elle ne me r��pondit pas, et d��tourna les yeux.
--Il n'y venait jamais personne, reprit la grande soeur; les tapisseries, les tableaux ��taient si vieux! Si vous nous connaissiez depuis plus longtemps, je croirais que vous parlez de Joign�� pour faire plaisir �� B��r��nice.
Nous ��tions arriv��s chez elles, l��-bas, sur ce flanc de la butte Montmartre qui domine la banlieue. Je pris dans mes bras cette petite fille maigre pour la descendre de voiture, et d��j�� la l��g��re curiosit�� qu'elle m'avait inspir��e se faisait plus tendre �� cause de notre passion commune pour ce mus��e de Joign��, ce mus��e du roi Ren��, d'un charme d��licat et mis��rable, comme la petite bouche si fine et �� peine ros�� de cette enfant aux cheveux natt��s.
* * * * *
CHAPITRE QUATRI��ME
HISTOIRE DE B��R��NICE (Suite).--LE MUS��E DU ROI REN��
C'est un art tr��s ��troit, mais c'est de l'art qu'on trouve au ?Mus��e du roi Ren��?, et ses trois salles du quinzi��me si��cle pr��sentent m��me une des ��tapes les plus touchantes de notre race.
La plupart des hommes n'y voient que des beaut��s mortes et presque de l'arch��ologie, mais quelques-uns, d'ame mal ��veill��e, attendris de souvenirs confus, n'admettent pas qu'on d��noue si vite les liens de la vie et de la beaut��. Cet art franco-flamand qui, au quatorzi��me si��cle, fut la fleur du luxe et de la grace, ne leur est pas seulement un renseignement, il les ��meut.
Peut-��tre ces bibelots, du temps qu'ils ��taient d'usage familier, leur eussent paru vulgaires, mais le silence et la froideur des mus��es, qui glacent les gens sans imagination, disposent quelques autres �� la plus fine m��lancolie.
Cette collection a ��t�� form��e par une fa?on de patriote qui consacra la premi��re partie de sa vie �� envisager le fran?ais et le latin comme deux langues soeurs sorties du gaulois, et il s'indignait, dans des revues d��partementales, de la manie qu'on a de d��river nos mots de vocables latins. Par un raisonnement analogue, il affirmait que le r��veil artistique, dit Renaissance, s'��tait manifest�� dans un m��me frisson, �� la m��me heure, sur toute l'Europe; et il d��montra avec passion que l'influence italienne n'avait ��t�� qu'une greffe n��faste, pos��e sur notre art fran?ais, �� l'instant o�� celui-ci, d'une merveilleuse vigueur, allait ��panouir sa pleine originalit��. Et comme, �� l'appui de sa premi��re manie, il avait publi�� une liste de mots fran?ais, tout ind��pendants du latin et d'��vidente origine celtique? pour ��difier sur les qualit��s autochtones de la premi��re renaissance fran?aise, il r��unit des panneaux, des miniatures et des orf��vreries des douzi��me et treizi��me si��cles, qui ne trahissent rien d'italien.
Ses curiosit��s d��sint��ress��es le servirent. Il correspondait avec les cur��s pour obtenir d'eux des vocabulaires de patois locaux, il visitait les plus mis��rables masures pour y d��nicher des choses d'art; aussi devint-il populaire pr��s de l'un et l'autre parti. L'ardent patriotisme de ses monographies du Languedoc et de la Provence le dispens��rent de profession de foi, en sorte que, par la suite, il parvint au S��nat.
Dans sa gratitude, il offrit au d��partement sa collection, qui en grossissant, l'accablait, et qu'on installa sous le nom de Mus��e du roi Ren�� dans une propri��t�� de l'��tat, au chateau de Joign��, bati jadis par le roi Ren��. Il y fit placer comme gardien le mari d'une jeune femme qu'il aimait et qui avait pour fille la toute petite B��r��nice.
Et c'est ainsi que l'enfant grandissante alimenta ses premiers app��tits dans un cycle de choses, mortes pour l'ordinaire des hommes.
La vaste pi��ce qu'occupait le mus��e dans cette lourde et humide construction ��tait chauff��e pendant l'hiver et toujours fra?che au plus fort de l'��t��.
La petite fille y passa de longues apr��s-midi, seule parmi
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