Le culte du moi 3 | Page 7

Maurice Barrès
ces beaut��s finissantes qu'elle vivifiait de sa jeune ��nergie et qui lui composaient une ame chim��rique.
Les murs ��taient recouverts d'une tapisserie de haute lice, connue sous le nom de Chambre aux petits enfants, toute sem��e de grands herbages, de petits enfants et de rosiers �� ros��s, parmi lesquels plusieurs dames �� devises faisaient personnages d'Honneur, de Noblesse, de D��sint��ressement et de Simplicit��.
Honneur ��tait si fort mang�� des vers que B��r��nice ne put savoir au juste ce que c'��tait; de Noblesse, elle distingua simplement la belle parure; mais D��sint��ressement et Simplicit�� lui sourirent bien souvent, tandis qu'elle les contemplait, hauss��e sur la pointe des pieds, pour mieux les voir et pour ne pas effaroucher le silence qui est une part de leur beaut��. Peut-��tre quelquefois l'enfant les d��chira-t-elle l��g��rement du bout des doigts, ��nerv��e par les longs mistrals, tandis que le petit village sonnait chaque heure avec une pr��cision si inutile au milieu de ce d��sert. Mais toute sa vie elle n'aima rien tant que ces dames de D��sint��ressement et de Simplicit��, doux visages qui ��voquaient pour elle les r��signations de la solitude.
La gloire de ce mus��e est une abondante collection de panneaux peints, mi-gothiques, mi-flamands, trait��s les uns avec la finesse et la monotonie de la miniature, les autres dans la mani��re des vitraux. A qui les attribuer? Voil�� une question d'esprit tout moderne et que nos a?eux ne se posaient pas plus que ne fit B��r��nice.
La peinture, pour les ��tres primitifs, est un enseignement. Ces panneaux ne sont pas l'expression d'un r��ve particulier, mais la description de l'univers tel qu'il apparaissait aux meilleurs esprits du quinzi��me si��cle. Ce sont, rassembl��es dans le plus petit espace et infiniment simplifi��es, toutes les connaissances qu'un esprit tr��s orn�� de cette ��poque pouvait avoir plaisir �� trouver sous ses yeux. Un tableau avait-il du succ��s? il ��tait copi�� ind��finiment, comme on reproduit un beau livre. C'est ce qui explique que, dans ce mus��e du roi Ren��, nous retrouvions �� peine modifi��s des tableaux d'Avignon, de Villeneuve-lez- Avignon, d'Aix, et de tous ces villages de Provence. Ces tableaux, pas plus que les chansons de gestes ou les rapsodies, ne peuvent ��tre d��gag��s de la mani��re g��n��rale du cycle dont ils font partie. Mais quelle abondance de d��tails des artistes, reprenant sans tr��ve un m��me th��me pour l'am��liorer, ne parvenaient-ils pas �� rassembler dans leurs panneaux!
B��r��nice y trouva des notions d'astronomie et de g��ographie, et tout son cat��chisme, puis de petites anecdotes qui l'amusaient, et enfin des bonshommes agenouill��s, les portraits du donateur, qui lui indiqu��rent nettement quelle attitude s��rieuse et sans ��tonnement il convient d'apporter �� la contemplation de l'univers.
La suite de sa vie me donne lieu de croire qu'elle profita surtout devant la Pluie de Sang: c'est J��sus entre deux saintes femmes, dont Marie l'Egyptienne, personne maigre qui, v��tue de ses cheveux comme d'une gaine, est tout �� fait d��licieuse. V��ritable ?fontaine de vie?, le pauvre J��sus d��goutte d'un sang qu'elles recueillent, et il s'��puise pour les deux belles d��votes. Cette image d��solante parut �� l'enfant une repr��sentation exacte de l'amour supr��me qui est, en effet, de se donner tout, se r��duire a rien pour un autre. Plus tard, ne l'ai-je pas vue qui se conformait, jusqu'�� mourir de langueur amoureuse, �� cette ��ducation par les yeux?
D'autres tableaux ��taient plus s��v��res pour l'imagination d'une fille. Travaux de miniaturiste agrandis, du genre qu'on voit �� Aix. Le Buisson Ardent, par exemple: dans le panneau du milieu, la Vierge accroupie tient sur son giron J��sus tout nu, et ce petit J��sus s'amuse d'une m��daille repr��sentant sa m��re et lui-m��me; au-dessous d'eux, dans une campagne faite de prairies, de rivi��res et de chateaux, flamboie un buisson embl��matique de ch��nes verts qu'entrelacent des lierres, des liserons, des ��glantiers, et plus bas encore, Mo?se se d��chausse sous les yeux d'un ange, tandis qu'un chien garde des moutons et des ch��vres. Ces beaux sujets sont largement encadr��s par une suite de figures peintes en cama?eu, entre lesquelles l'enfant distinguait un ange qui sonne du cor et qui, le pieu �� la main, poursuit une licorne r��fugi��e dans le giron d'une vierge.
Tout cela lui parut incompr��hensible, mais nullement d��sordonn��. Il ��tait dans le temp��rament de ce petit ��tre sensible et r��sign�� de consid��rer l'univers comme un immense r��bus. Rien n'est plus judicieux, et seuls les esprits qu'absorbent de m��diocres pr��occupations cessent de rechercher le sens de ce vaste spectacle. A combien d'interpr��tations ��tranges et ��mouvantes la nature ne se pr��te-t-elle pas, elle qui sait �� ses pires duret��s donner les molles courbes de la beaut��!
Quand, de son mus��e, B��r��nice, orpheline, vint �� Paris pour ��tre ballerine �� l'��den, elle ne s'��tonna pas un instant, car l'ordonnance des tableaux o�� elle figura autour des d��esses d'op��rette lui rappelait assez les compositions du roi Ren��. Elle trouva naturel d'y participer, ayant pris,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 44
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.