sourire; aussi, malgr�� la rage qu'elles ont d'��tre nos ma?tresses, ne peuvent-elles se d��cider �� le demeurer.? L'amour, dans son opinion, est l'effort de deux ames pour se compl��ter, effort entrav�� par l'existence de nos corps qu'il faut le plus possible oublier. Mais cette conception des choses sentimentales, d��licate en son principe, le menait un peu loin. Elle le menait �� Londres, tous les mois, par amour des petites filles: ?Seules, disait-il, elles font voir intacte la part de soumission que la nature a mise dans la femme et que gatent les premiers succ��s mondains.? Et suivant son id��e, vers les minuit, il me conduisit �� la sortie de l'��den, o�� figuraient alors dans un ballet des centaines d'enfants ��caill��s d'or, se balan?ant autour d'une danseuse lascive.
Je lui faisais la critique de son syst��me, quand soudain, sur la rue Boudreau, s'ouvrit une porte d'o�� se d��ploya en ��ventail un troupeau de petites filles fan��es. Elles sautaient �� cloche-pied et criaient comme �� la sortie de l'��cole, pouvant avoir de six �� douze ans. Sur le trottoir en face, mal ��clair��, nous ��tions des vieux messieurs, des mamans, mon ami et moi, une vingtaine de personnes mornes. Une fillette nous aper?ut enfin et courut au peintre avec une vivacit�� affectueuse. Lui, la prenant doucement par la main: ?Ma petite amie B��r��nice,? me dit-il. Elle s'��tait fait soudain une petite figure de bois o�� vivaient seuls de beaux yeux observateurs. Elle nous quitta pour embrasser une grande jeune femme, sa soeur a?n��e, d'attitude maladive et honn��te, �� qui mon compagnon me pr��senta.
Cette sc��ne m'emplit d'un flot subit de piti��. Tous quatre nous remontions la rue Auber; je tenais B��r��nice par la main, et j'��tais tr��s occup�� �� pr��server ce petit ��tre des passants. Je ne cherchais pas �� lui parler, seulement j'avais dans l'esprit ce que dit Shakespeare de Cl��opatre: ?Je l'ai vue sauter quarante pas �� cloche-pied. Ayant perdu haleine, elle voulut parler et s'arr��ta palpitante, si gracieuse qu'elle faisait d'une d��faillance une beaut��.?
Ce privil��ge divin, faire d'une d��faillance une beaut��, c'est toute la raison de la place secr��te que, pr��s de mon coeur, je garde, apr��s dix ans, �� l'enfant B��r��nice. Elle eut plus de d��faillances qu'aucune personne de son age, mais elle y mit toujours des gestes tendres, et sur cette petite main, apr��s tant de choses affreuses, je ne puis voir de p��ch��.
Quand nous f?mes assis �� la terrasse d'un mauvais caf�� de la rue Saint-Lazare, mon compagnon f��licita la soeur a?n��e de la robe de B��r��nice. Elle en parut heureuse, et r��pondit avec cette r��signation qui m'avait d'abord frapp��:
--Je fais ce que je puis pour la bien tenir; notre vie est difficile. Petite-Secousse a des d��penses au-dessus de son age, des d��penses de grande fille.
La grande fille, qui mangeait des tartes avec une vive satisfaction, s'interrompit pour compter sur ses doigts:
--Je gagne �� l'��den douze sous par jour; j'ai pour ma premi��re communion dix sous par semaine de M. le cur��, et il y a M. Prudent qui donne dix louis par mois.
--C'est vrai, r��pondit la soeur, mais �� l'��den on attrappe des amendes; pour la premi��re communion, il faudra un cierge, la robe blanche et ma toilette, et puis il y a les cigares de M. Prudent.
Mon compagnon se divertissait infiniment; M. Prudent surtout le ravit.
L'enfant, �� qui il faisait voir un ��cu, le saisit des deux mains avec une furie de joie; puis son visage reprit cette froideur sous laquelle je devinais une folle puissance de sentir. Masque ent��t�� de jeune reine aux cheveux plats! Jamais on ne vit d'yeux si graves et ainsi faits pour distinguer ce qui perle d'amertume �� la racine de tous les sentiments.
Oh! celle-l�� n'avait pas le tendre sourire des enfants sensibles, qui pleurent si l'on ne sourit pas quand ils sourient. Et pourtant je sais bien qu'elle e?t aim�� avec passion une m��re ��l��gante et jeune �� qui le monde e?t prodigu�� ses succ��s. Avec leur fiert��, les petits ��tres de cette sorte peuvent aimer seulement ceux qui ��meuvent leur imagination. Ils vont des princes de ce monde aux pires r��fractaires. Non admises �� ��tre la ma?tresse adulante d'un roi, de telles filles sont des r��volt��es dont l'acret�� et la beaut�� pi��tin��e serrent le coeur. B��r��nice fut particuli��re en ceci que, pour charmer son imagination, il suffit du plus banal des romanesques, du romanesque de la mort. Pour l'heure, elle ��tait une petite cigale, pas encore bruyante, si s��che, si fr��le, que j'en avais tout �� la fois de la piti�� et du malaise. Tous trois maintenant, sans parler, avec des sentiments divers o�� dominait l'incertitude, nous la regardions, comme font trois amateurs autour de la chrysalide o�� se d��bat ils ne savent quel papillon.
Mon ami, qui habitait Asni��res et que pressait l'heure de son train, me demanda de
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