Le culte du moi 3 | Page 2

Maurice Barrès
ami, que vous eussiez certainement aim��, le tr��s distingu�� Blaze de Bury, avait une id��e particuli��re de ce qu'on nomme le g��nie. Il l'exposa un jour dans la Revue: ?Certains hommes, ��crivit-il, ont du g��nie comme les ��l��phants ont une trompe.? Cela est possible, mais au moins une trompe est-elle, dans une physionomie, bien plus facile �� saisir que le signe du g��nie, et quoique j'aie eu l'honneur de d?ner en face du g��n��ral Boulanger, je ne peux me prononcer sur sa g��nialit��.
--Mon cher ma?tre, j'ai lieu de vous croire antiboulangiste.
--Que je sois boulangiste ou antiboulangiste! Les ��tranges hypoth��ses! Croyez-vous que je puisse aussi hativement me faire des certitudes sur des passions qui sont en somme du domaine de l'histoire! Avez-vous feuillet�� Sorel, Thureau-Dangin, mon ��minent ami M. Taine? Au bas de chacune de leurs pages, il y a mille petites notes. Ah! l'histoire selon les m��thodes r��centes, que de sources �� consulter, que de documents contradictoires! Il faut rassembler tous les t��moignages, puis en faire la critique. Cette besogne consid��rable, je ne l'ai pas entreprise; je ne me suis pas fait une id��e claire et document��e du parti r��visionniste.... Les juifs, mon cher Monsieur, n'avaient pas le suffrage universel, qui donne �� chacun une opinion, ni l'imprimerie, qui les recueille toutes. Et pourtant j'ai grand'peine �� d��brouiller leurs querelles que j'��tudie chaque matin, depuis dix ans. M. Reinach lui-m��me voudrait-il me d��tourner du monument que j'��l��ve �� ses a?eux, et o�� je suis �� peu pr��s comp��tent, pour que je collabore �� sa politique, o�� j'apporterais des scrupules dont il n'a cure?
Et puis, aurais-je assez de m��rite pour y convenir, je ne me sens pas l'abn��gation d'��tre boulangiste ou antiboulangiste. C'est la foi qui me manquerait. Qu'un v��n��rable pr��tre se fasse empaler pour prouver aux Chinois, qui l'��pient, la v��rit�� du rudiment catholique, il ne m'��tonne qu'�� demi; il est soutenu par sa grande connaissance du martyrologe romain: ?Tant de pieux confesseurs, se dit-il, depuis l'an 33 de J.-C., n'ont pu souffrir des tourments si vari��s pour une cause vaine.? Je fais mes r��serves sur la logique de ce saint homme (et volontiers, cher Monsieur, j'en discuterai avec vous un de ces matins), mais enfin elle est humaine. Je comprends le martyr d'aujourd'hui; l'��tonnant, c'est qu'il y ait eu un premier martyr. En voil�� un qui a d? acqu��rir cette gloire bon gr�� mal gr��! Si vous l'aviez interview�� �� l'avance sur ses intentions, nul doute que vous n'eussiez d��m��l�� en lui de graves h��sitations.
--Je vous entends, dit Chincholle apr��s quelques secondes, vous refusez une part active dans la lutte; mais ne pourriez-vous, mon cher ma?tre, me pr��ciser davantage le sentiment que vous avez de l'agitation dont le g��n��ral Boulanger est le centre?
M. Renan leva les yeux et consid��ra Chincholle, puis lisant avec aisance jusqu'au fond de cette ame:
--Le sentiment que j'ai du Boulangisme, dit-il, c'est pr��cis��ment, Monsieur, celui que vous en avez. En moi, comme en vous, Monsieur, il chatouille le sens pr��cieux de la curiosit��. La curiosit��! c'est la source du monde, elle le cr��e continuellement; par elle naissent la science et l'amour.... J'ai vu avec chagrin un petit livre pour les enfants o�� la curiosit�� ��tait blam��e; peut-��tre connaissez-vous cet opuscule embelli de chromos: cela s'appelle Les M��saventures de Touchatout ... c'est le plus dangereux des libelles, v��ritable pamphlet contre l'humanit�� sup��rieure. Mais telle est la force d'une id��e vraie que l'auteur de ce coupable r��cit nous fait voir, �� la derni��re page, Touchatout qui go?te du levain et s'envole par la fen��tre paternelle! Laissons rire le vulgaire. Image exag��r��e, mais saisissante: Touchatout plane par-dessus le monde. Touchatout, c'est Goethe, c'est L��onard de Vinci: c'est vous aussi, Monsieur! Avec quel int��r��t je m'attache �� chacun de vos beaux articles! Le g��n��ral et ses amis vous ont distrait, ils ont ��veill�� dans votre esprit quatre ou cinq grands probl��mes de sociologie (comment na?t une l��gende, comment se cristallise une nouvelle ame populaire), vous vous ��tes demand��, avec Hegel, si les balanciers de l'histoire ne ramenaient pas p��riodiquement les nations d'un point �� un autre.
Et ces hautes questions, avec un art qui vous est naturel, vous les rendez faciles, piquantes, accessibles �� des cochers de fiacre. C'est, dans une certaine mesure, la m��thode que j'ai tent�� d'appliquer pour propager en France les id��es de l'��cole de Tubingue.
Chincholle rougit l��g��rement et r��pondit en s'inclinant:
--Je suis heureux des ��loges d'un homme comme vous, mon cher ma?tre.
Il est vrai, j'ai ��t�� curieux jusqu'�� l'indiscr��tion des moindres d��tails de ce tournoi, et je n'ai recul�� de satisfaire aucune des curiosit��s que soulevait le principal champion, �� qui sont acquises, on le sait, toutes mes sympathies. Mais il est un point o�� je me s��pare, croyez-le, de mes amis. J'aime la mod��ration, je r��prouve les injures: la violence des pol��miques parfois m'attrista.
--Je vous
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