ami, que vous eussiez certainement aim��, le tr��s distingu�� Blaze de Bury, avait une id��e particuli��re de ce qu'on nomme le g��nie. Il l'exposa un jour dans la Revue: ?Certains hommes, ��crivit-il, ont du g��nie comme les ��l��phants ont une trompe.? Cela est possible, mais au moins une trompe est-elle, dans une physionomie, bien plus facile �� saisir que le signe du g��nie, et quoique j'aie eu l'honneur de d?ner en face du g��n��ral Boulanger, je ne peux me prononcer sur sa g��nialit��.
--Mon cher ma?tre, j'ai lieu de vous croire antiboulangiste.
--Que je sois boulangiste ou antiboulangiste! Les ��tranges hypoth��ses! Croyez-vous que je puisse aussi hativement me faire des certitudes sur des passions qui sont en somme du domaine de l'histoire! Avez-vous feuillet�� Sorel, Thureau-Dangin, mon ��minent ami M. Taine? Au bas de chacune de leurs pages, il y a mille petites notes. Ah! l'histoire selon les m��thodes r��centes, que de sources �� consulter, que de documents contradictoires! Il faut rassembler tous les t��moignages, puis en faire la critique. Cette besogne consid��rable, je ne l'ai pas entreprise; je ne me suis pas fait une id��e claire et document��e du parti r��visionniste.... Les juifs, mon cher Monsieur, n'avaient pas le suffrage universel, qui donne �� chacun une opinion, ni l'imprimerie, qui les recueille toutes. Et pourtant j'ai grand'peine �� d��brouiller leurs querelles que j'��tudie chaque matin, depuis dix ans. M. Reinach lui-m��me voudrait-il me d��tourner du monument que j'��l��ve �� ses a?eux, et o�� je suis �� peu pr��s comp��tent, pour que je collabore �� sa politique, o�� j'apporterais des scrupules dont il n'a cure?
Et puis, aurais-je assez de m��rite pour y convenir, je ne me sens pas l'abn��gation d'��tre boulangiste ou antiboulangiste. C'est la foi qui me manquerait. Qu'un v��n��rable pr��tre se fasse empaler pour prouver aux Chinois, qui l'��pient, la v��rit�� du rudiment catholique, il ne m'��tonne qu'�� demi; il est soutenu par sa grande connaissance du martyrologe romain: ?Tant de pieux confesseurs, se dit-il, depuis l'an 33 de J.-C., n'ont pu souffrir des tourments si vari��s pour une cause vaine.? Je fais mes r��serves sur la logique de ce saint homme (et volontiers, cher Monsieur, j'en discuterai avec vous un de ces matins), mais enfin elle est humaine. Je comprends le martyr d'aujourd'hui; l'��tonnant, c'est qu'il y ait eu un premier martyr. En voil�� un qui a d? acqu��rir cette gloire bon gr�� mal gr��! Si vous l'aviez interview�� �� l'avance sur ses intentions, nul doute que vous n'eussiez d��m��l�� en lui de graves h��sitations.
--Je vous entends, dit Chincholle apr��s quelques secondes, vous refusez une part active dans la lutte; mais ne pourriez-vous, mon cher ma?tre, me pr��ciser davantage le sentiment que vous avez de l'agitation dont le g��n��ral Boulanger est le centre?
M. Renan leva les yeux et consid��ra Chincholle, puis lisant avec aisance jusqu'au fond de cette ame:
--Le sentiment que j'ai du Boulangisme, dit-il, c'est pr��cis��ment, Monsieur, celui que vous en avez. En moi, comme en vous, Monsieur, il chatouille le sens pr��cieux de la curiosit��. La curiosit��! c'est la source du monde, elle le cr��e continuellement; par elle naissent la science et l'amour.... J'ai vu avec chagrin un petit livre pour les enfants o�� la curiosit�� ��tait blam��e; peut-��tre connaissez-vous cet opuscule embelli de chromos: cela s'appelle Les M��saventures de Touchatout ... c'est le plus dangereux des libelles, v��ritable pamphlet contre l'humanit�� sup��rieure. Mais telle est la force d'une id��e vraie que l'auteur de ce coupable r��cit nous fait voir, �� la derni��re page, Touchatout qui go?te du levain et s'envole par la fen��tre paternelle! Laissons rire le vulgaire. Image exag��r��e, mais saisissante: Touchatout plane par-dessus le monde. Touchatout, c'est Goethe, c'est L��onard de Vinci: c'est vous aussi, Monsieur! Avec quel int��r��t je m'attache �� chacun de vos beaux articles! Le g��n��ral et ses amis vous ont distrait, ils ont ��veill�� dans votre esprit quatre ou cinq grands probl��mes de sociologie (comment na?t une l��gende, comment se cristallise une nouvelle ame populaire), vous vous ��tes demand��, avec Hegel, si les balanciers de l'histoire ne ramenaient pas p��riodiquement les nations d'un point �� un autre.
Et ces hautes questions, avec un art qui vous est naturel, vous les rendez faciles, piquantes, accessibles �� des cochers de fiacre. C'est, dans une certaine mesure, la m��thode que j'ai tent�� d'appliquer pour propager en France les id��es de l'��cole de Tubingue.
Chincholle rougit l��g��rement et r��pondit en s'inclinant:
--Je suis heureux des ��loges d'un homme comme vous, mon cher ma?tre.
Il est vrai, j'ai ��t�� curieux jusqu'�� l'indiscr��tion des moindres d��tails de ce tournoi, et je n'ai recul�� de satisfaire aucune des curiosit��s que soulevait le principal champion, �� qui sont acquises, on le sait, toutes mes sympathies. Mais il est un point o�� je me s��pare, croyez-le, de mes amis. J'aime la mod��ration, je r��prouve les injures: la violence des pol��miques parfois m'attrista.
--Je vous
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.