ces beautés finissantes qu'elle vivifiait de sa jeune énergie et qui lui composaient une ame chimérique.
Les murs étaient recouverts d'une tapisserie de haute lice, connue sous le nom de Chambre aux petits enfants, toute semée de grands herbages, de petits enfants et de rosiers à rosés, parmi lesquels plusieurs dames à devises faisaient personnages d'Honneur, de Noblesse, de Désintéressement et de Simplicité.
Honneur était si fort mangé des vers que Bérénice ne put savoir au juste ce que c'était; de Noblesse, elle distingua simplement la belle parure; mais Désintéressement et Simplicité lui sourirent bien souvent, tandis qu'elle les contemplait, haussée sur la pointe des pieds, pour mieux les voir et pour ne pas effaroucher le silence qui est une part de leur beauté. Peut-être quelquefois l'enfant les déchira-t-elle légèrement du bout des doigts, énervée par les longs mistrals, tandis que le petit village sonnait chaque heure avec une précision si inutile au milieu de ce désert. Mais toute sa vie elle n'aima rien tant que ces dames de Désintéressement et de Simplicité, doux visages qui évoquaient pour elle les résignations de la solitude.
La gloire de ce musée est une abondante collection de panneaux peints, mi-gothiques, mi-flamands, traités les uns avec la finesse et la monotonie de la miniature, les autres dans la manière des vitraux. A qui les attribuer? Voilà une question d'esprit tout moderne et que nos a?eux ne se posaient pas plus que ne fit Bérénice.
La peinture, pour les êtres primitifs, est un enseignement. Ces panneaux ne sont pas l'expression d'un rêve particulier, mais la description de l'univers tel qu'il apparaissait aux meilleurs esprits du quinzième siècle. Ce sont, rassemblées dans le plus petit espace et infiniment simplifiées, toutes les connaissances qu'un esprit très orné de cette époque pouvait avoir plaisir à trouver sous ses yeux. Un tableau avait-il du succès? il était copié indéfiniment, comme on reproduit un beau livre. C'est ce qui explique que, dans ce musée du roi René, nous retrouvions à peine modifiés des tableaux d'Avignon, de Villeneuve-lez- Avignon, d'Aix, et de tous ces villages de Provence. Ces tableaux, pas plus que les chansons de gestes ou les rapsodies, ne peuvent être dégagés de la manière générale du cycle dont ils font partie. Mais quelle abondance de détails des artistes, reprenant sans trêve un même thème pour l'améliorer, ne parvenaient-ils pas à rassembler dans leurs panneaux!
Bérénice y trouva des notions d'astronomie et de géographie, et tout son catéchisme, puis de petites anecdotes qui l'amusaient, et enfin des bonshommes agenouillés, les portraits du donateur, qui lui indiquèrent nettement quelle attitude sérieuse et sans étonnement il convient d'apporter à la contemplation de l'univers.
La suite de sa vie me donne lieu de croire qu'elle profita surtout devant la Pluie de Sang: c'est Jésus entre deux saintes femmes, dont Marie l'Egyptienne, personne maigre qui, vêtue de ses cheveux comme d'une gaine, est tout à fait délicieuse. Véritable ?fontaine de vie?, le pauvre Jésus dégoutte d'un sang qu'elles recueillent, et il s'épuise pour les deux belles dévotes. Cette image désolante parut à l'enfant une représentation exacte de l'amour suprême qui est, en effet, de se donner tout, se réduire a rien pour un autre. Plus tard, ne l'ai-je pas vue qui se conformait, jusqu'à mourir de langueur amoureuse, à cette éducation par les yeux?
D'autres tableaux étaient plus sévères pour l'imagination d'une fille. Travaux de miniaturiste agrandis, du genre qu'on voit à Aix. Le Buisson Ardent, par exemple: dans le panneau du milieu, la Vierge accroupie tient sur son giron Jésus tout nu, et ce petit Jésus s'amuse d'une médaille représentant sa mère et lui-même; au-dessous d'eux, dans une campagne faite de prairies, de rivières et de chateaux, flamboie un buisson emblématique de chênes verts qu'entrelacent des lierres, des liserons, des églantiers, et plus bas encore, Mo?se se déchausse sous les yeux d'un ange, tandis qu'un chien garde des moutons et des chèvres. Ces beaux sujets sont largement encadrés par une suite de figures peintes en cama?eu, entre lesquelles l'enfant distinguait un ange qui sonne du cor et qui, le pieu à la main, poursuit une licorne réfugiée dans le giron d'une vierge.
Tout cela lui parut incompréhensible, mais nullement désordonné. Il était dans le tempérament de ce petit être sensible et résigné de considérer l'univers comme un immense rébus. Rien n'est plus judicieux, et seuls les esprits qu'absorbent de médiocres préoccupations cessent de rechercher le sens de ce vaste spectacle. A combien d'interprétations étranges et émouvantes la nature ne se prête-t-elle pas, elle qui sait à ses pires duretés donner les molles courbes de la beauté!
Quand, de son musée, Bérénice, orpheline, vint à Paris pour être ballerine à l'éden, elle ne s'étonna pas un instant, car l'ordonnance des tableaux où elle figura autour des déesses d'opérette lui rappelait assez les compositions du roi René. Elle trouva naturel d'y participer, ayant pris,
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