Le culte du moi 2 | Page 8

Maurice Barrès
et l'autre v��tu un personnage. J'affectai en tous lieux, d'��tre pareil aux autres, et je ne m'interrompis jamais de les d��daigner secr��tement. Ce me fut toujours une torture d'avoir la physionomie mobile et les yeux expressifs. Si tu me vis, sous l'oeil des barbares, me pr��ter �� vingt groupes bruyants et divers, c'��tait pour qu'on me laissat le r��pit de me construire une vision personnelle de l'univers, quelque r��ve �� ma taille, o�� me r��fugier, moi, homme libre.
Ainsi revenions-nous �� nos principes de l'apr��s-midi, et �� convenir que nous avons ��t�� cr����s pour analyser nos sensations, et pour en ressentir le plus grand nombre possible qui soient exalt��es et subtiles. J'entrai dans la vie avec ce double besoin. Notre vertu la moins contestable, c'est d'��tre clairvoyants, et nous sommes en m��me temps ardents avec d��lire. Chez nous, l'apaisement n'est que d��bilit��; il a toute la tristesse du malade qui tourne la t��te contre le mur.
Nous poss��dons l�� un don bien rare de noter les modifications de notre moi, avant que les frissons se soient effac��s sur notre ��piderme. Quand on a l'honneur d'��tre, �� un pareil degr��, passionn�� et r��fl��chi, il faut soigner en soi une particularit�� aussi piquante. Raffinons soigneusement de sensibilit�� et d'analyse. La besogne sera ais��e, car nos besoins, �� mesure que nous les satisfaisons, croissent en exigences et en d��licatesses, et seule, cette m��thode saura nous faire toucher le bonheur.
C'est ainsi que Simon et moi, par emballement, par oisivet��, nous d��cidames de tenter l'exp��rience.
Courons �� la solitude! Soyons des nouveau-n��s! D��pouill��s de nos attitudes, oublieux de nos vanit��s et de tout ce qui n'est pas notre ame, v��ritables lib��r��s, nous cr��erons une atmosph��re neuve, o�� nous embellir par de sagaces exp��rimentations.
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D��s lors, nous v��c?mes dans le lendemain; et chacune de nos r��flexions accroissait notre enivrement. ?D��sormais nous aurons un coeur ardent et satisfait?, nous affirmions-nous l'un �� l'autre sur la plage, car nous avions sagement d��cid�� de proc��der par affirmation. ?Cette sole est tr��s fra?che...; votre ma?tresse, d��licieuse...? me disait jadis un compagnon d'ailleurs m��diocre, et grace �� son ton p��remptoire la sauce passait l��g��re, je jouissais des biens de la vie.
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Dans la liste qu'une agence nous fit tenir, nous chois?mes, pour la louer, une maison de ma?tre, avec vaste jardin plant�� en bois et en vignes, sise dans un canton d��laiss��, �� cinq kilom��tres de la voie ferr��e, sur les confins des d��partements de Meurthe-et-Moselle et des Vosges. Originaires nous-m��mes de ces pays, nous comptions n'y ��tre distraits ni par le ciel, ni par les plaisirs, ni par les moeurs. Puis nous n'y connaissions personne, dont la gentillesse p?t nous d��tourner de notre g��n��reux ��gotisme.
C'est alors que, corrects une supr��me fois envers nos tristes amies, qui furent tour �� tour ironiques et ��mues, nous passames �� Paris liquider nos appartements et notre situation sociale. Nous sort?mes de la grande ville avec la joie un peu nerveuse du portefaix qui vient de d��livrer ses ��paules d'une charge tr��s lourde. Nous nous ��tions d��barrass��s du si��cle.
Dans le train qui nous emporta vers notre retraite de Saint-Germain, par Bayon (Meurthe-et-Moselle), nous m��ditions le chapitre xx du livre Ier de l'Imitation, qui traite ?De l'amour de la solitude et du silence?. Et pour nous d��lasser de la prodigieuse sensibilit�� de ce vieux moine, nous ��tablissions notre budget (14.000 francs de rente). Malgr�� que l'odeur de la houille et les visages des voyageurs, toujours, me bouleversent l'estomac, l'avenir me paraissait d��sirable.
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CHAPITRE II
M��DITATION SUR LA JOURN��E DE JERSEY
Cette journ��e de Jersey fut pu��rile en plus d'un instant, et pas tr��s nette pour moi-m��me. Comment accommoder cette haine mystique du monde et cet amour de l'agitation qui me poss��dent ��galement! C'est �� Jersey pourtant, nerveux qui chicanions au bord de l'Oc��an, que j'approchai le plus d'un ��tat h��ro?que. Je tendais a me d��gager de moi-m��me. L'amour de Dieu soulevait ma poitrine.
Je dis Dieu, car de l'��closion confuse qui se fit alors en mon imagination, rien n'approche autant que l'ardeur d'une jeune femme, chercheuse et combl��e, lasse du monde qu'elle ne saurait quitter et qui, d��vote, s'agenouille en vous invoquant, Marie Vierge et Christ Dieu! Ces cr��atures-l��, puisqu'elles nous troublent, ne sont pas parfaites, mais la civilisation ne produit rien de plus int��ressant. Les vieux mots qui leur sont familiers embelliront notre malaise, dont ils donnent en m��me temps une figure assez exacte.
H��las! les contrari��t��s d'o�� sortit mon ��tat de grace, je vois trop nettement leur m��diocrit�� pour que mon r��ve de Jersey n'ait tr��s vite perdu �� mes yeux ce caract��re religieux que lui conservent mes vocables. Jamais rien ne survint en mon ame qui ne f?t embarrass�� de mesquineries. Amertume contre ce qui est, curiosit�� d��go?t��e de ce que j'ignore, voil�� peut-��tre les tiges fl��tries de mes plus belles
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