Le culte du moi 2 | Page 9

Maurice Barrès
exaltations!
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Avant cette journ��e d��cisive, d��j�� la grace m'avait visit��. J'avais d��j�� entrevu mon Dieu int��rieur, mais aussit?t son ��mouvante image s'emplissait d'ombre. Ces flirts avec le divin me ternissaient le si��cle, sans qu'ils modifiassent s��rieusement mon ignominie. C'est par le d��dain qu'enfin j'atteignis �� l'amour. Certes, je comprenais que seul le d��go?t pr��ventif �� l'��gard de la vie nous garantit de toute d��ception, et que se livrer aux choses qui meurent est toujours une diminution; mais il fallut la r��v��lation de Jersey, pour que je prisse le courage de me conformer �� ces v��rit��s soup?onn��es, et de conqu��rir par la culture de mes inqui��tudes l'embellissement de l'univers. C'est en m'aimant infiniment, c'est en m'embrassant, que j'embrasserai les choses et les redresserai selon mon r��ve.
Oui, d��j�� j'avais ��t�� travers�� de ce d��lire d'animer toutes les minutes de ma vie. Sur les petits carnets o�� je note les pointes de mes sensations pour la curiosit�� de les ��prouver �� nouveau, quand le temps les aura ��mouss��es, je retrouve une matin��e de juillet que, malade, vraiment ��puis��, tant mon corps ��tait rompu et mon esprit lucide d'insomnie, je m'��tais fait conduire �� la biblioth��que de Nancy, pour lire les Exercices spirituels d'Ignace de Loyola. Livre de s��cheresse, mais infiniment f��cond, dont la m��canique fut toujours pour moi la plus troublante des lectures; livre de dilettante et de fanatique. Il dilate mon scepticisme et mon m��pris; il d��monte tout ce qu'on respecte, en m��me temps qu'il r��conforte mon d��sir d'enthousiasme; il saurait me faire homme libre, tout-puissant sur moi-m��me.
Alors que j'��tais ainsi mordu par ce cher engrenage, des militaires pass��rent sur les dix heures, revenant de la promenade matinale, avec de la poussi��re, des trompettes retentissantes et des gamins admirateurs. Et nous, ceux de la biblioth��que, un pr��tre, un petit vieux, trois ��tudiants, nous nous penchames des fen��tres de notre palais sur ces hommes actifs. Et l'orgueil chantait dans ma t��te: ?Tu es un soldat, toi aussi; tu es mille soldats, toute une arm��e. Que leurs trompettes lev��es vers le ciel sonnent un hallali! Tiens en main toutes les forces que tu as, afin que tu puisses, par des commandements rapides, prendre soudain toutes les figures en face des circonstances.? Et, fr��missant jusqu'�� serrer les poings du d��sir de dominer la vie, je me replongeai dans l'��tude des moyens pour poss��der les ressorts de mon ame comme un capitaine poss��de sa compagnie. --Quelque jour, un statisticien dressera la th��orie des ��motions, afin que l'homme �� volont�� les cr��e toutes en lui et toutes en un m��me moment.
Et puis ce fut la vie, car il fallut agir; et je me rappelle cette douloureuse matin��e o�� je vis un de ma race, mais ayant toujours r��sist�� �� l'app��tit de se d��truire, qui me disait dans un acc��s d'orgueil: ?Ma t��te est une merveilleuse machine �� pens��es et �� phrases; jamais elle ne s'arr��te de produire avec aisance des mots savoureux, des images pr��cises et des id��es imp��rieuses; c'est mon royaume, un empire que je gouverne.? Et moi, tandis qu'il marchait dans l'appartement, j'��tais assombri et congel�� par le bromure, au point que je n'avais pas la force de lui r��pondre, et je me raidissais, avec un effort trop visible, pour sourire et pour para?tre alerte. Et je revins �� midi, seul, par la longue rue Richelieu (une de ces rues ��troites qui me donnent un malaise), plus accabl�� et plus inconscient, mais convaincu, au fond de mon d��couragement, que le paradis c'est d'��tre clairvoyant et fi��vreux.
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Je m'��carte parmi ces souvenirs. C'est que j'y apprends �� conna?tre mon temp��ramment, ses hauts et ses bas. Voil�� les soucis, les nuances o�� je reviens, sit?t que j'ai quelques loisirs. Je veux accueillir tous les frissons de l'univers; je m'amuserai de tous mes nerfs. Ces anecdotes qui vous paraissent peu de chose, je les ai choisies scrupuleusement dans le petit bagage d'��motions qui est tout mon moi. A certains jours, elles m'int��ressent beaucoup plus que la nomenclature des empires qui s'effondrent. Elles me sont H��l��ne, Cl��opatre, la Juliette sur son balcon et Mlle de Lespinasse, pour qui jamais ne se lasse la tendre curiosit�� des jeunes gens.
Belle paix froide de Saint-Germain! C'est l�� que mon coeur ��chauff�� sans tr��ve retrouvera et s'assurera la possession de ces frissons obscurs qui, parfois, m'ont travers�� pour m'indiquer ce que je devais ��tre! Ma faiblesse jusqu'�� cette heure n'a pu forcer �� se r��aliser cet esprit myst��rieux qui se dissimule en moi. Mais je le saisirai, et je d��partirai sa beaut�� �� l'univers, qui me fut jusqu'alors m��diocre comme mon ame.
--Mais, dira-t-on, Simon, qu'int��ressent la vie (amour des for��ts et du confort) et la pr��cision scientifique (philosophie anglaise), comment s'associait-il �� vos aspirations?
Je pense qu'��tant fort nerveux et compr��hensif, il vibrait avec mes ��nergies quelles qu'elles
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