Le culte du moi 2 | Page 7

Maurice Barrès
de Granville-Jersey �� boire de l'alcool, puis ils parl��rent de la territoriale.
Ils furent cordiaux; nos femmes leur plurent; Simon n'ouvrit pas la bouche. Moi, par urbanit��, je tachais de rire �� chaque fois qu'ils riaient.
Avant de nous coucher, mon ami et moi, seuls sur le petit chemin, pr��s de la plage o�� se refl��tait l'immense fen��tre brutalement ��clair��e de notre salon, dans la vaste rumeur des flots noirs, nous go?tames une r��elle satisfaction �� ��piloguer sur la vulgarit�� des gens, ou du moins sur notre impuissance �� les supporter.
?O moi, disions-nous l'un et l'autre, Moi, cher enfant que je cr��e chaque jour, pardonne-nous ces fr��quentations mis��rables dont nous ne savons t'��pargner l'��nervement.?
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A d��jeuner, le lendemain, Simon, qui est tr��s d��pensier, mais que les gaspillages d'autrui d��sobligent, fit remarquer �� son amie qu'elle mangeait gloutonnement. D��j�� le m��me d��faut de tenue m'avait choqu�� chez ma ma?tresse, et je pris texte de l'occasion pour faire une courte morale. Elles s'emport��rent, et tous deux, par des clignements d'yeux, nous nous signalions leur grossi��ret��.
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Vers deux heures, tandis qu'elles allaient dans les magasins, une voiture nous conduisit jusqu'�� la baie de Saint-Ouen.
Nous e?mes d'abord la sensation joyeuse de voir, pour la premi��re fois, cette plage ��troite et furieuse, et nous nous ass?mes aupr��s de l'��cume des lames bris��es. Puis une tasse de th�� nous raffermit l'estomac. Nous ��tions bien servis, par un temps ti��de, sur la fa?ade nette d'un h?tel tr��s neuf, parmi cinq ou six groupes ��l��gants et mod��r��s. Je surveillais le visage de Simon; �� la troisi��me gorg��e je vis sa gravit�� se d��tendre. Moi-m��me je me sentais dispos.
--N'est-ce pas, lui dis-je, la premi��re minute agr��able que nous trouvons �� Jersey? Il n'��tait pourtant pas difficile de nous organiser ainsi. Quoi en effet? un joli temps (c'est la saison), de l'inconnu (le monde en est plein), une tasse de th�� qui encourage notre cerveau (1 fr. 50).
--Tu oublies, me dit-il, deux autres plaisirs: l'analyse que nous f?mes, hier soir, de notre ennui, et l'��clair de ce matin, �� table, quand nous nous sommes surpris �� souffrir, l'un et l'autre, de l'impudeur de leurs app��tits.
--Arr��te! m'��criai-je, car j'entrevois une piste de pens��e.
Et, riant de la joie d'avoir un th��me �� m��diter, nous cour?mes nous installer sur un rocher en face de l'Oc��an sal��. Au bout d'une heure, nous avions abouti aux principes suivants, que je copiai le soir m��me avant de m'endormir:
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PREMIER PRINCIPE: Nous ne sommes jamais si heureux que dans l'exaltation.
DEUXI��ME PRINCIPE: Ce qui augmente beaucoup le plaisir de l'exaltation, c'est de l'analyser.
La plus faible sensation atteint �� nous fournir une joie consid��rable, si nous en exposons le d��tail �� quelqu'un qui nous comprend �� demi-mot. Et les ��motions humiliantes elles-m��mes, ainsi transform��es en mati��re de pens��e, peuvent devenir voluptueuses.
CONS��QUENCE: Il faut sentir le plus possible en analysant le plus possible.
Je remarque que, pour analyser avec conscience et avec joie mes sensations, il me faut �� l'ordinaire un compagnon.
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Je me rappelle les d��tails et toute la physionomie de cette longue s��ance que nous f?mes, couch��s dans la brise purifiante et virile de l'Oc��an. Nos intelligences ��taient lucides, tonifi��es par le bel air, soutenues par le th��. J'ajouterai m��me que Simon s'��loigna un instant sous les roches fra?ches, ce dont je le f��licitai, en l'enviant, car la nourriture et l'air des plages entravaient fort la r��gularit�� de nos digestions, o�� nous nous montrames toujours capricieux.
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Le m��me soir, vers onze heures, r��unis aupr��s de nos femmes dans le petit salon de notre fr��le villa, je disais �� Simon, avec la franchise un peu choquante des heures de nuit:
--Je t'avouerai que souvent je songeai �� entrer en religion pour avoir une vie trac��e et aucune responsabilit�� de moi sur moi. Enferm�� dans ma cellule, r��sign�� �� l'irr��parable, je cultiverais et pousserais au paroxysme certains dons d'enthousiasme et d'amertume que je poss��de et qui sont mes d��lices. Je fus d��tourn�� de ce cher projet par la n��cessit�� d'��tre extr��mement ��nergique pour l'ex��cuter. M��me je me suis arr��t�� de souhaiter franchement cette vie, car j'ai soup?onn�� qu'elle deviendrait vite une habitude et remplie de mesquineries: rires de s��minaristes, contacts de compagnons que je n'aurais pas choisis et parmi lesquels je serais la minorit��.
Nos femmes, en m'entendant, se mirent �� blasph��mer, par esprit d'opposition, et �� se frapper le front, pour signifier que je d��raisonnais.
--C'est ��trange, r��pondit Simon, que je ne t'aie pas connu ce go?t pendant des ann��es. Je pensais: il est aimable, actif, changeant, toutes les vertus de Paris, mais il ne sent rien hors de cette ville. Moi, c'est la campagne, des chiens, une pipe et les notions abondantes et froides de Spencer �� d��brouiller pendant six mois.
--Erreur! lui dis-je, tu t'y ennuyais. Nous avons l'un
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