à bâtir, nous camperons, non pas tels qu'on
puisse nous qualifier de religieux, car aucun doctrinaire n'a su nous
proposer d'argument valable, sceptiques non plus, puisque nous avons
conscience d'un problème sérieux,--mais tout à la fois religieux et
sceptiques.
En effet, nous serions enchanté que quelqu'un survînt qui nous fournît
des convictions.... Et, d'autre part, nous ne méprisons pas le scepticisme,
nous ne dédaignons pas l'ironie.... Pour les personnes d'une vie
intérieure un peu intense, qui parfois sont tentées d'accueillir des
solutions mal vérifiées, le sens de l'ironie est une forte garantie de
liberté.
* * * * *
Au terme de cet examen, où j'ai resserré l'idée qui anime ces petits
traités, mais d'une main si dure qu'ils m'en paraissent maintenant tout
froissés, je crains que le ton démonstratif de ce commentaire ne donne
le change sur nos préoccupations d'art. En vérité, si notre oeuvre n'avait
que l'intérêt précis que nous expliquons ici et n'y joignait pas des
qualités moins saisissables, plus nuageuses et qui ouvrent le rêve, je me
tiendrais pour malheureux. Mais ces livres sont de telle naissance qu'on
y peut trouver plusieurs sens. Une besogne purement didactique et
toute de clarté n'a rien pour nous tenter. S'il m'y fallait plier, je rougirais
d'ailleurs de me limiter dans une froide théorie parcellaire et voudrais
me jouer dans l'abondante érudition du dictionnaire des sciences
philosophiques. Aurais-je admis que ma contribution doublât telle page
des manuels écrits par des maîtres de conférences sur l'ordinaire de qui
j'eusse paru empiéter! Nul qui s'y méprenne: dans ces volumes-ci, il
s'agissait moins de composer une chose logique que de donner en
tableaux émouvants une description sincère de certaines façons de
sentir. Ne voici pas de la scolastique, mais de la vie.
De même qu'à la salle d'armes nous préférons le jeu utile de l'épée aux
finesses du fleuret, de même, si nous aimons la philosophie, c'est pour
les services que nous en attendons. Nous lui demandons de prêter de la
profondeur aux circonstances diverses de notre existence. Celles-ci, en
effet, à elles seules, n'éveillent que le bâillement. Je ne m'intéresse à
mes actes que s'ils sont mêlés d'idéologie, en sorte qu'ils prennent
devant mon imagination quelque chose de brillant et de passionné. Des
pensées pures, des actes sans plus, sont également insuffisants.
J'envoyai chacun de mes rêves brouter de la réalité dans le champ
illimité du monde, en sorte qu'ils devinssent des bêtes vivantes, non
plus d'insaisissables chimères, mais des êtres qui désirent et qui
souffrent. Ces idées où du sang circule, je les livre non à mes aînés, non
à ceux qui viendront plus tard, mais à plusieurs de mes contemporains.
Ce sont des livres et c'est la vie ardente, subtile et clairvoyante où nous
sommes quelques-uns à nous plaire.
En suivant ainsi mon instinct, je me conformais à l'esthétique où
excellent les Goethe, les Byron, les Heine qui, préoccupés
d'intellectualisme, ne manquent jamais cependant de transformer en
matière artistique la chose à démontrer.
Or, si j'y avais réussi en quelque mesure, il m'en faudrait reporter tout
l'honneur à l'Italie, où je compris les formes.
Réfléchissant parfois à ce que j'avais le plus aimé au monde, j'ai pensé
que ce n'était pas même un homme qui me flatte, pas même une femme
qui pleure, mais Venise; et quoique ses canaux me soient malsains, la
fièvre que j'y prenais m'était très chère, car elle élargit la clairvoyance
au point que ma vie inconsciente la plus profonde et ma vie psychique
se mêlaient pour m'être un immense réservoir de jouissance. Et je
suivais avec une telle acuité mes sentiments encore les plus confus que
j'y lisais l'avenir en train de se former. C'est a Venise que j'ai décidé
toute ma vie, c'est de Venise également que je pourrais dater ces
ouvrages. Sur cette rive lumineuse, je crois m'être fait une idée assez
exacte de ces délires lucides que les anciens éprouvaient aux bords de
certains étangs.
* * * * *
SOUS L'OEIL DES BARBARES
* * * * *
Voici une courte monographie réaliste. La réalité varie avec chacun de
nous puisqu'elle est l'ensemble de nos habitudes de voir, de sentir et de
raisonner. Je décris un être jeune et sensible dont la vision de l'univers
se transforme fréquemment et qui garde une mémoire fort nette de six
ou sept réalités différentes. Tout en soignant la liaison des idées et
l'agrément du vocabulaire, je me suis surtout appliqué à copier
exactement les tableaux de l'univers que je retrouvais superposés dans
une conscience. C'est ici l'histoire des années d'apprentissage d'un Moi,
âme ou esprit.
* * * * *
Un soir de sécheresse, dont j'ai décrit le malaise à la page 277 [voir:
AFFAISSEMENT (fin): par. qui commence avec: Souvent, très
souvent,...M.D.] celui de qui je parle imagina de se plaire parmi ses
rêves et
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