nos rêves: du moins trouva-t-il un camarade qui
partagea ses réflexions et ses sensations dans une retraite méthodique et
féconde. C'est Simon, ce fameux Simon (de Saint-Germain). Lassé
pourtant de cette solitude, de ce dilettantisme contemplatif et de tant
d'expériences menues, aux dernières pages d'Un Homme libre, Philippe
est prêt pour l'action. _Le Jardin de Bérénice_ raconte une campagne
électorale.
Ce que Philippe apprend, et du peuple et de Bérénice qui ne font qu'un,
je n'ai pas à le reproduire ici, car je me propose de souligner l'esprit de
suite que j'ai mis dans ces trois volumes, mais non pas de suivre leurs
développements. Une vive allure et d'élégants raccourcis toujours me
plurent trop pour que je les gâte de commentaires superflus». Qu'il me
suffise de renvoyer à une phrase des Barbares, fort essentielle,
quelques-uns qui se troublent, disant: «Bérénice est-elle une petite-fille,
ou l'âme populaire, ou l'Inconscient?»
Aux premiers feuillets, leur répondais-je, on voit une jeune femme
autour d'un jeune homme. N'est-ce pas plutôt l'histoire d'une âme avec
ses deux éléments, féminin et mâle? Ou encore, à côté du Moi qui se
garde, veut se connaître et s'affirmer, la fantaisie, le goût du plaisir, le
vagabondage, si vif chez un être jeune et sensible? Que ne peut-on y
voir? Je sais seulement que mes troubles m'offrirent cette complexité
où je ne trouvais alors rien d'obscur. Ce n'est pas ici une enquête
logique sur la transformation de la sensibilité; je restitue sans retouche
des visions ou des émotions profondément ressenties. Ainsi, dans le
plus touchant des poèmes, dans la Vita nuova, la Béatrice est-elle une
amoureuse, l'Église ou la Théologie? Dante, qui ne cherchait point cette
confusion, y aboutit, parce qu'_à des âmes, aux plus sensitives, le
vocabulaire commun devient insuffisant. Il vivait dans une
surexcitation nerveuse qu'il nommait, selon les heures, désir de savoir,
désir d'aimer, désir sans nom,_--et qu'il rendit immortelle par des
procédés heureux.
A-t-on remarqué que la femme est la même à travers ces trois volumes,
accommodée simplement au milieu? L'ombre élégante et très
raisonneuse des premiers chapitres des Barbares, c'est déjà celle qui
sera Bérénice; elle est vraiment désignée avec exactitude au chapitre
_Aventures d'amour_, dans _l'Homme libre_, quand Philippe l'appelle
l'«Objet». Voilà bien le nom qui lui convient dans tous ses aspects, au
cours de ces trois volumes. Elle est, en effet, objectivée, la part
sentimentale qu'il y a dans un jeune homme de ce temps.... Et vraiment
n'était-il pas temps qu'un conteur accueillît ce principe, admis par tous
les analystes et vérifié par chacun de nous jusqu'au plus profond
désenchantement, à savoir que l'amour consiste à vêtir la première
venue qui s'y prête un peu des qualités que nous recherchons cette
saison-là?
«C'est nous qui créons l'univers,» telle est la vérité qui imprègne
chaque page de cette petite oeuvre. De là leurs conclusions: le Moi
découvre une harmonie universelle à mesure qu'il prend du monde une
conscience plus large et plus sincère. Cela se conçoit, il crée
conformément à lui-même; il suffit qu'il existe réellement, qu'il ne soit
pas devenu un reflet des Barbares, et dans un univers qui n'est que
l'ensemble de ses pensées régnera la belle ordonnance selon laquelle
s'adaptent nécessairement les unes aux autres les conceptions d'un
cerveau lucide.
Cette harmonie, cette sécurité, c'est la révélation qu'on trouve au
_Jardin de Bérénice_, et en vérité y a-t-il contradiction entre cette
dernière étape et l'inquiétude du départ _Sous l'oeil des Barbares_?
Nullement, c'était acheminement. Avant que le Moi créât l'univers, il
lui fallait exister: ses duretés, ses négations, c'était effort pour briser la
coquille, pour être.
* * * * *
II.--PRÉTENDU SCEPTICISME
Et maintenant au lecteur informé de reviser ce jugement de scepticisme
qu'on porta sur notre oeuvre.
Nul plus que nous ne fut affirmatif. Parmi tant de contradictions que, à
notre entrée dans la vie, nous recueillons, nous, jeunes gens informés
de toutes les façons de sentir, je ne voulus rien admettre que je ne
l'eusse éprouvé en moi-même. L'opinion publique flétrit à bon droit
l'hypocrisie. Celle-ci pourtant n'est qu'une concession à l'opinion
elle-même, et parfois, quand elle est l'habileté d'un Spinoza ou d'un
Renan sacrifiant pour leur sécurité aux dieux de l'empire, bien qu'elle
demeure une défaillance du caractère, elle devient excusable pour les
qualités de clairvoyance qui la décidèrent. Mais de ce point de vue
intellectuel même, comment excuser des déguisés sans le savoir, qui
marchent vêtus de façons de sentir qui ne furent jamais les leurs? Ils
introduisent le plus grand désordre dans l'humanité; ils contredisent
l'inconscient, en se dérobant à jouer le personnage pour lequel de toute
éternité ils furent façonnés.
Écoeuré de cette mascarade et de ces mélanges impurs, nous avons eu
la passion d'être sincère et conforme à nos instincts. Nous servons en
sectaire la part essentielle de nous-même qui compose notre Moi, nous
haïssons ces
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