Le comte de Monte-Cristo, Tome IV | Page 7

Alexandre Dumas, père
qui allait occuper l'attention publique et la fixer sur un des membres les plus connus de l'illustre corps.
C'étaient des lectures à voix basse de l'article, des commentaires et des échanges de souvenirs qui précisaient encore mieux les faits. Le comte de Morcerf n'était pas aimé parmi ses collègues. Comme tous les parvenus, il avait été forcé, pour se maintenir à son rang, d'observer un excès de hauteur. Les grands aristocrates riaient de lui; les talents le répudiaient; les gloires pures le méprisaient instinctivement Le comte en était à cette extrémité facheuse de la victime expiatoire. Une fois désignée par le doigt du Seigneur pour le sacrifice, chacun s'apprêtait à crier haro.
Seul, le comte de Morcerf ne savait rien. Il ne recevait pas le journal où se trouvait la nouvelle diffamatoire, et avait passé la matinée à écrire des lettres et à essayer un cheval.
Il arriva donc à son heure accoutumée, la tête haute, l'oeil fier, la démarche insolente, descendit de voiture dépassa les corridors et entra dans la salle, sans remarquer les hésitations des huissiers et les demi-saluts de ses collègues.
Lorsque Morcerf entra, la séance était déjà ouverte depuis plus d'une demi-heure.
Quoique le comte, ignorant, comme nous l'avons dit, de tout ce qui s'est passé, n'e?t rien changé à son air ni à sa démarche, son air et sa démarche parurent à tous plus orgueilleux que d'habitude, et sa présence dans cette occasion parut tellement agressive à cette assemblée jalouse de son honneur, que tous y virent une inconvenance, plusieurs une bravade, quelques-uns une insulte.
Il était évident que la Chambre tout entière br?lait d'entamer le débat.
On voyait le journal accusateur aux mains de tout le monde; mais, comme toujours, chacun hésitait à prendre sur lui la responsabilité de l'attaque. Enfin, un des honorables pairs, ennemi déclaré du comte de Morcerf, monta à la tribune avec une solennité qui annon?ait que le moment attendu était arrivé.
Il se fit un effrayant silence; Morcerf seul ignorait la cause de l'attention profonde que l'on prêtait cette fois à un orateur qu'on n'avait pas toujours l'habitude d'écouter si complaisamment.
Le comte laissa passer tranquillement le préambule par lequel l'orateur établissait qu'il allait parler d'une chose tellement grave, tellement sacrée, tellement vitale pour la Chambre, qu'il réclamait toute l'attention de ses collègues.
Aux premiers mots de Janina et du colonel Fernand, le comte de Morcerf palit si horriblement, qu'il n'y eut qu'un frémissement dans cette assemblée, dont tous les regards convergeaient vers le comte.
Les blessures morales ont cela de particulier qu'elles se cachent, mais ne se referment pas; toujours douloureuses, toujours prêtes à saigner quand on les touche, elles restent vives et béantes dans le coeur.
La lecture de l'article achevée au milieu de ce même silence, troublé alors par un frémissement qui cessa aussit?t que l'orateur parut disposé à reprendre de nouveau la parole, l'accusateur exposa son scrupule, et se mit à établir combien sa tache était difficile; c'était l'honneur de M. de Morcerf, c'était celui de toute la Chambre qu'il prétendait défendre en provoquant un débat qui devait s'attaquer à ces questions personnelles toujours si br?lantes. Enfin, il conclut en demandant qu'une enquête f?t ordonnée, assez rapide pour confondre, avant qu'elle e?t eu le temps de grandir, la calomnie, et pour rétablir M. de Morcerf, en le vengeant, dans la position que l'opinion publique lui avait faite depuis longtemps.
Morcerf était si accablé, si tremblant devant cette immense et inattendue calamité, qu'il put à peine balbutier quelques mots en regardant ses confrères d'un oeil égaré. Cette timidité, qui d'ailleurs pouvait aussi bien tenir à l'étonnement de l'innocent qu'à la honte du coupable, lui concilia quelques sympathies. Les hommes vraiment généreux sont toujours prêts à devenir compatissants, lorsque le malheur de leur ennemi dépasse les limites de leur haine.
Le président mit l'enquête aux voix; on vota par assis et levé, et il fut décidé que l'enquête aurait lieu.
On demanda au comte combien il lui fallait de temps pour préparer sa justification.
Le courage était revenu à Morcerf dès qu'il s'était senti vivant encore après cet horrible coup.
?Messieurs les pairs, répondit-il, ce n'est point avec du temps qu'on repousse une attaque comme celle que dirigent en ce moment contre moi des ennemis inconnus et restés dans l'ombre de leur obscurité sans doute; c'est sur-le-champ, c'est par un coup de foudre qu'il faut que je réponde à l'éclair qui un instant m'a ébloui; que ne m'est-il donné, au lieu d'une pareille justification, d'avoir à répandre mon sang pour prouver à mes collègues que je suis digne de marcher leur égal!?
Ces paroles firent une impression favorable pour l'accusé.
?Je demande donc, dit-il, que l'enquête ait lieu le plus t?t possible, et je fournirai à la Chambre toutes les pièces nécessaires à l'efficacité de cette enquête.
--Quel jour fixez-vous? demanda le président.
--Je me mets dès aujourd'hui à la disposition de la Chambre?, répondit le comte.
Le président
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