Le comte de Monte-Cristo, Tome IV | Page 8

Alexandre Dumas, père
agita la sonnette.
?La Chambre est-elle d'avis, demanda-t-il, que cette enquête ait lieu aujourd'hui même?
--Oui!? fut la réponse unanime de l'Assemblée.
On nomma une commission de douze membres pour examiner les pièces à fournir par Morcerf. L'heure de la première séance de cette commission fut fixée à huit heures du soir dans les bureaux de la Chambre. Si plusieurs séances étaient nécessaires, elles auraient lieu à la même heure et dans le même endroit.
Cette décision prise, Morcerf demanda la permission de se retirer; il avait à recueillir les pièces amassées depuis longtemps par lui pour faire tête à cet orage, prévu par son cauteleux et indomptable caractère.
Beauchamp raconta au jeune homme toutes les choses que nous venons de dire à notre tour: seulement son récit eut sur le n?tre l'avantage de l'animation des choses vivantes sur la froideur des choses mortes.
Albert l'écouta en frémissant tant?t d'espoir, tant?t de colère, parfois de honte; car, par la confidence de Beauchamp, il savait que son père était coupable, et il se demandait comment, puisqu'il était coupable, il pourrait en arriver à prouver son innocence.
Arrivé au point où nous en sommes, Beauchamp s'arrêta.
?Ensuite? demanda Albert.
--Ensuite? répéta Beauchamp.
--Oui.
--Mon ami, ce mot m'entra?ne dans une horrible nécessité. Voulez-vous donc savoir la suite?
--Il faut absolument que je la sache, mon ami, et j'aime mieux la conna?tre de votre bouche que d'aucune autre.
--Eh bien, reprit Beauchamp, apprêtez donc votre courage, Albert; jamais vous n'en aurez eu plus besoin.?
Albert passa une main sur son front pour s'assurer de sa propre force, comme un homme qui s'apprête à défendre sa vie essaie sa cuirasse et fait ployer la lame de son épée.
Il se sentit fort, car il prenait sa fièvre pour de l'énergie.
?Allez! dit-il.
--Le soir arriva, continua Beauchamp. Tout Paris était dans l'attente de l'événement. Beaucoup prétendaient que votre père n'avait qu'à se montrer pour faire crouler l'accusation; beaucoup aussi disaient que le comte ne se présenterait pas; il y en avait qui assuraient l'avoir vu partir pour Bruxelles, et quelques-uns allèrent à la police demander s'il était vrai, comme on le disait, que le comte e?t pris ses passeports.
?Je vous avouerai que je fis tout au monde continua Beauchamp, pour obtenir d'un des membres de la commission, jeune pair de mes amis, d'être introduit dans une sorte de tribune. à sept heures il vint me prendre, et, avant que personne f?t arrivé, me recommanda à un huissier qui m'enferma dans une espèce de loge. J'étais masqué par une colonne et perdu dans une obscurité complète; je pus espérer que je verrais et que j'entendrais d'un bout à l'autre la terrible scène qui allait se dérouler.
?à huit heures précises tout le monde était arrivé.
?M. de Morcerf entra sur le dernier coup de huit heures. Il tenait à la main quelques papiers, et sa contenance semblait calme; contre son habitude, sa démarche était simple, sa mise recherchée et sévère; et, selon l'habitude des anciens militaires, il portait son habit boutonné depuis le bas jusqu'en haut.
?Sa présence produisit le meilleur effet: la commission était loin d'être malveillante, et plusieurs de ses membres vinrent au comte et lui donnèrent la main.?
Albert sentit que son coeur se brisait à tous ces détails, et cependant au milieu de sa douleur se glissait un sentiment de reconnaissance; il e?t voulu pouvoir embrasser ces hommes qui avaient donné à son père cette marque d'estime dans un si grand embarras de son honneur.
?En ce moment un huissier entra et remit une lettre au président.
?--Vous avez la parole, monsieur de Morcerf, dit le président tout en décachetant la lettre.
?Le comte commen?a son apologie, et je vous affirme, Albert, continua Beauchamp, qu'il fut d'une éloquence et d'une habileté extraordinaires. Il produisit des pièces qui prouvaient que le vizir de Janina l'avait, jusqu'à sa dernière heure, honoré de toute sa confiance, puisqu'il l'avait chargé d'une négociation de vie et de mort avec l'empereur lui-même. Il montra l'anneau, signe de commandement, et avec lequel Ali-Pacha cachetait d'ordinaire ses lettres, et que celui-ci lui avait donné pour qu'il p?t à son retour, à quelque heure du jour ou de la nuit que ce f?t, et f?t-il dans son harem, pénétrer jusqu'à lui. Malheureusement, dit-il, sa négociation avait échoué, et quand il était revenu pour défendre son bienfaiteur, il était déjà mort. Mais, dit le comte, en mourant, Ali-Pacha, tant était grande sa confiance, lui avait confié sa ma?tresse favorite et sa fille.?
Albert tressaillit à ces mots, car à mesure que Beauchamp parlait, tout le récit d'Haydée revenait à l'esprit du jeune homme, et il se rappelait ce que la belle Grecque avait dit de ce message, de cet anneau, et de la fa?on dont elle avait été vendue et conduite en esclavage.
?Et quel fut l'effet du discours du comte? demanda avec anxiété Albert.
--J'avoue qu'il m'émut, et qu'en même temps que moi, il émut toute la
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