Le chevalier dHarmental | Page 6

Alexandre Dumas, père
nouveau.
--Allons, allons, Ravanne, dit Fargy, puisque tu t'es chargé d'être notre
guide, montre-nous le chemin.
Ravanne sauta aussitôt dans le bois comme un jeune faon. Ses cinq
compagnons le suivirent. Les chevaux de main et le carrosse de louage
restèrent sur la route.
Au bout de dix minutes de marche, pendant lesquelles les six
adversaires avaient gardé le plus profond silence, soit de peur d'être
entendus, soit par ce sentiment naturel qui fait qu'au moment de courir
un danger l'homme se replie un instant sur lui-même, on se trouva au
milieu d'une clairière entourée de tous côtés d'un rideau d'arbres.
--Eh bien! messieurs, dit Ravanne en jetant un regard satisfait autour de
lui, que dites-vous de la localité?
--Je dis que si vous vous vantez de l'avoir découverte dit le capitaine,
vous me faites l'effet d'un drôle de Christophe Colomb! Vous n'aviez
qu'à me dire que c'était ici que vous vouliez aller, et je vous y aurais
conduit les yeux fermés, moi.
--Eh bien! monsieur, répondit Ravanne, nous tacherons que vous en
sortiez comme vous y seriez venu.
--Vous savez que c'est à vous que j'ai affaire, monsieur de Lafare, dit
d'Harmental en jetant son chapeau sur l'herbe.
--Oui, monsieur, répondit le capitaine des gardes en suivant l'exemple

du chevalier; et je sais aussi que rien ne pouvait me faire tout à la fois
plus d'honneur et de peine qu'une rencontre avec vous, surtout pour un
pareil motif.
D'Harmental sourit en homme pour qui cette fleur de politesse n'était
point perdue, mais il n'y répondit qu'en mettant l'épée à la main.
--Il paraît, mon cher baron, dit Fargy s'adressant à Valef, que vous êtes
sur le point de partir pour l'Espagne?
--Je devais partir cette nuit même, mon cher comte répondit Valef, et il
n'a fallu rien moins que le plaisir que je me promettais à vous voir ce
matin pour me déterminer à rester jusqu'à cette heure, tant j'y vais pour
choses importantes.
--Diable! voilà qui me désole, reprit Fargy en tirant son épée; car si
j'avais le malheur de vous retarder, vous êtes homme à m'en vouloir
mal de mort.
--Non point. Je saurais que c'est par pure amitié, mon cher comte,
répondit Valef. Ainsi, faites de votre mieux et tout de bon, je vous prie,
car je suis à vos ordres.
--Allons donc, allons donc, monsieur, dit Ravanne au capitaine, qui
pliait proprement son habit et le posait près de son chapeau; vous voyez
bien que je vous attends.
--Ne nous impatientons pas, mon beau jeune homme, dit le vieux soldat
en continuant ses préparatifs avec le flegme goguenard qui lui était
naturel. Une des qualités les plus essentielles sous les armes, c'est le
sang-froid. J'ai été comme vous à votre âge, mais au troisième ou
quatrième coup d'épée que j'ai reçu, j'ai compris que je faisais fausse
route, et je suis revenu dans le droit chemin. Là! ajouta-t-il en tirant
enfin son épée, qui, nous l'avons dit, était de la plus belle longueur.
--Peste, monsieur! dit Ravanne en jetant un coup d'oeil sur l'arme de
son adversaire, que vous avez là une charmante colichemarde! Elle me
rappelle la maîtresse-broche de la cuisine de ma mère, et je suis désolé

de ne pas avoir dit au maître d'hôtel de me l'apporter pour faire votre
partie.
--Votre mère est une digne femme, et sa cuisine une bonne cuisine; j'ai
entendu parler de toutes deux avec de grands éloges, monsieur le
chevalier, répondit le capitaine avec un ton presque paternel. Aussi je
serais désolé de vous enlever à l'une et à l'autre pour une misère comme
celle qui me procure l'honneur de croiser le fer avec vous. Supposez
donc tout bonnement que vous prenez une leçon avec votre maître
d'armes, et tirez à fond.
La recommandation était inutile; Ravanne était exaspéré de la
tranquillité de son adversaire, à laquelle, malgré son courage, son sang
jeune et ardent ne lui laissait pas l'espérance d'atteindre. Aussi se
précipita-t-il sur le capitaine avec une telle furie que les épées se
trouvèrent engagées jusqu'à la poignée. Le capitaine fit un pas en
arrière.
--Ah! vous rompez, mon grand monsieur, s'écria Ravanne.
--Rompre n'est pas fuir, mon petit chevalier, répondit le capitaine; c'est
un axiome de l'art que je vous invite à méditer. D'ailleurs, je ne suis pas
fâché d'étudier votre jeu. Ah! vous êtes élève de Berthelot à ce qu'il me
paraît. C'est un bon maître, mais il a un grand défaut: c'est de ne pas
apprendre à parer. Tenez, voyez un peu, continua-t-il en ripostant par
un coup de seconde à un coup droit, si je m'étais fendu, je vous enfilais
comme une mauviette.
Ravanne était furieux, car effectivement il avait senti sur son flanc la
pointe de l'épée de son adversaire, mais si légèrement posée qu'il eût pu
la prendre pour le
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