Le chevalier dHarmental | Page 7

Alexandre Dumas, père
bouton d'un fleuret. Aussi sa colère redoubla de la
conviction qu'il lui devait la vie, et ses attaques se multiplièrent plus
pressées encore qu'auparavant.
--Allons, allons, dit le capitaine, voilà que vous perdez la tête
maintenant, et que vous cherchez à m'éborgner. Fi donc! jeune homme,
fi donc! À la poitrine, morbleu! Ah! vous revenez à la figure? Vous me
forcerez de vous désarmer! Encore? Allez ramasser votre épée, jeune

homme, et revenez à cloche-pied, cela vous calmera.
Et d'un violent coup de fouet, il fit sauter le fer de Ravanne à vingt pas
de lui.
Cette fois, Ravanne profita de l'avis; il alla lentement ramasser son épée
et revint lentement au capitaine, qui l'attendait la pointe de la sienne sur
le soulier. Seulement le jeune homme était pâle comme sa veste de
satin, sur laquelle apparaissait une légère goutte de sang.
--Vous avez raison, monsieur, lui dit-il, et je suis encore un enfant;
mais ma rencontre avec vous aidera, je l'espère à faire de moi un
homme. Encore quelques passes, s'il vous plaît, afin qu'il ne soit pas dit
que vous ayez eu tous les honneurs. Et il se remit en garde.
Le capitaine avait raison: il ne manquait au chevalier que du calme
pour en faire sous les armes un homme à craindre. Aussi, au premier
coup de cette troisième reprise, vit-il qu'il lui fallait apporter à sa propre
défense toute son attention; mais lui-même avait dans l'art de l'escrime
une trop grande supériorité pour que son jeune adversaire pût reprendre
avantage sur lui. Les choses se terminèrent comme il était facile de le
prévoir: le capitaine fit sauter une seconde fois l'épée des mains de
Ravanne; mais, cette fois, il alla la ramasser lui-même et avec une
politesse dont au premier abord on l'aurait cru incapable.
--Monsieur le chevalier, lui dit-il en la lui rendant, vous êtes un brave
jeune homme; mais, croyez-en un vieux coureur d'académies et de
tavernes, qui a fait, avant que vous ne fussiez né, les guerres de Flandre;
quand vous étiez au berceau, celles d'Italie, et quand vous étiez aux
pages, celles d'Espagne: changez de maître; laissez là Berthelot, qui
vous a montré tout ce qu'il sait; prenez Bois-Robert, et je veux que le
diable m'emporte si dans six mois vous ne m'en remontrez pas à
moi-même!
--Merci de la leçon, monsieur dit Ravanne en tendant la main au
capitaine, tandis que deux larmes, qu'il n'était point le maître de retenir,
coulaient le long de ses joues; elle me profitera, je l'espère. Et, recevant
son épée des mains du capitaine, il fit ce que celui-ci avait déjà fait, il la

remit au fourreau.
Tous deux reportèrent alors les yeux sur leurs compagnons pour voir où
en étaient les choses. Le combat était fini. Lafare était assis sur l'herbe,
le dos appuyé à un arbre: il avait reçu un coup d'épée qui devait lui
traverser la poitrine; mais heureusement, la pointe du fer avait
rencontré une côte et avait glissé le long de l'os, de sorte que la blessure
paraissait au premier abord plus grave qu'elle ne l'était en effet; il n'en
était pas moins évanoui, tant la commotion avait été violente.
D'Harmental, à genoux devant lui, épongeait le sang avec son
mouchoir.
Fargy et Valef avaient fait coup fourré: l'un avait la cuisse traversée,
l'autre le bras à jour. Tous deux se faisaient des excuses et se
promettaient de n'en être que meilleurs amis à l'avenir.
--Tenez, jeune homme, dit le capitaine à Ravanne en lui montrant les
différents épisodes du champ de bataille, regardez cela et méditez; voilà
le sang de trois braves gentilshommes qui coule probablement pour une
drôlesse!
--Ma foi! répondit Ravanne tout à fait calmé, je crois que vous avez
raison, capitaine, et vous pourriez bien être le seul de nous tous qui
ayez le sens commun.
En ce moment, Lafare ouvrit les yeux et reconnut d'Harmental dans
l'homme qui lui portait secours.
--Chevalier, lui dit-il, voulez-vous suivre un conseil d'ami?
Envoyez-moi une espèce de chirurgien que vous trouverez dans la
voiture, et que j'ai amené à tout hasard; puis, gagnez Paris au plus vite,
montrez-vous ce soir au bal de l'opéra, et si l'on vous demande de mes
nouvelles, dites qu'il y a huit jours que vous ne m'avez vu. Quant à moi,
vous pouvez être parfaitement tranquille, votre nom ne sortira point de
ma bouche. Au reste, s'il vous arrivait quelque mauvaise discussion
avec la connétable, faites-le-moi savoir au plus tôt, et nous nous
arrangerions de manière que la chose n'eût pas de suite.

--Merci, monsieur le marquis, répondit d'Harmental; je vous quitte
parce que je sais vous laisser en meilleures mains que les miennes;
autrement, croyez-moi, rien n'aurait pu me séparer de vous avant que je
vous visse couché dans votre lit.
--Bon voyage, mon cher Valef! dit
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