la haute cha?ne, si capricieusement ramifiée, qui marque la frontière de la Valachie. En avant se creuse le sinueux défilé de Vulkan, seule route praticable entre les provinces limitrophes. Au-delà de la vallée des deux Sils, surgissent les bourgs de Livadzel, de Lonyai, de Petroseny, de Petrilla, groupés à l'orifice des puits qui servent à l'exploitation de ce riche bassin houiller. Puis, aux derniers plans, c'est un admirable chevauchement de croupes, boisées à leur base, verdoyantes à leurs flancs, arides à leurs cimes, que dominent les sommets abrupts du Retyezat et du Paring [Le Retyezat s'élève à une hauteur de 2 496 mètres, et le Paring àune hauteur de 2 414 mètres au-dessus du niveau de la mer.]. Enfin, plus loin que la vallée du Hatszeg et le cours du Maros, apparaissent les lointains profils, noyés de brumes, des Alpes de la Transylvanie centrale.
Au fond de cet entonnoir, la dépression du sol formait autrefois un lac, dans lequel s'absorbaient les deux Sils, avant d'avoir trouvé passage à travers la cha?ne. Maintenant, cette dépression n'est plus qu'un charbonnage avec ses inconvénients et ses avantages ; les hautes cheminées de brique se mêlent aux ramures des peupliers, des sapins et des hêtres ; les fumées noiratres vicient l'air, saturé, jadis du parfum des arbres fruitiers et des fleurs. Toutefois, à l'époque où se passe cette histoire, bien que l'industrie tienne ce district minier sous sa main de fer, il n'a rien perdu du caractère sauvage qu'il doit à la nature.
Le chateau des Carpathes date du XIIe ou du XIIIe siècle. En ce temps-là, sous la domination des chefs ou vo?vodes, monastères, églises, palais, chateaux, se fortifiaient avec autant de soin que les bourgades ou les villages. Seigneurs et paysans avaient à se garantir contre des agressions de toutes sortes. Cet état de choses explique pourquoi l'antique courtine du burg, ses bastions et son donjon lui donnent l'aspect d'une construction féodale, prête à la défensive. Quel architecte l'a édifié sur ce plateau, à cette hauteur ? On l'ignore, et cet audacieux artiste est inconnu, à moins que ce soit le roumain Manoli, si glorieusement chanté dans les légendes valaques, et qui batit à Curté d'Argis le célèbre chateau de Rodolphe le Noir.
Qu'il y ait des doutes sur l'architecte, il n'y en a aucun sur la famille qui possédait ce burg. Les barons de Gortz étaient seigneurs du pays depuis un temps immémorial. Ils furent mêlés à toutes ces guerres qui ensanglantèrent les provinces transylvaines ; ils luttèrent contre les Hongrois, les Saxons, les Szeklers ; leur nom figure dans les ? cantices ?, les -- ? do?nes ?, où se perpétue le souvenir de ces désastreuses périodes ; ils avaient pour devise le fameux proverbe valaque : Da pe maorte, ? donne jusqu'à la mort ! ? et ils donnèrent, ils répandirent leur sang pour la cause de l'indépendance, -- ce sang qui leur venait des Roumains, leurs ancêtres.
On le sait, tant d'efforts, de dévouement, de sacrifices, n'ont abouti qu'à réduire à la plus indigne oppression les descendants de cette vaillante race. Elle n'a plus d'existence politique. Trois talons l'ont écrasée. Mais ils ne désespèrent pas de secouer le joug, ces Valaques de la Transylvanie. L'avenir leur appartient, et c'est avec une confiance inébranlable qu'ils répètent ces mots, dans lequel se concentrent toutes leurs aspirations : R?man on péré ! ? le Roumain ne saurait périr ! ? Vers le milieu du XIXe siècle, le dernier représentant des seigneurs de Gortz était le baron Rodolphe. Né au chateau des Carpathes, il avait vu sa famille s'éteindre autour de lui pendant les premiers temps de sa jeunesse. A vingt-deux ans, il se trouva seul au monde. Tous les siens étaient tombés d'année en année, comme ces branches du hêtre séculaire, auquel la superstition populaire rattachait l'existence même du burg. Sans parents, on peut même dire sans amis, que ferait le baron Rodolphe pour occuper les loisirs de cette monotone solitude que la mort avait faite autour de lui ? Quels étaient ses go?ts, ses instincts, ses aptitudes ? On ne lui en reconnaissait guère, si ce n'est une irrésistible passion pour la musique, surtout pour le chant des grands artistes de cette époque. Dès lors, abandonnant le chateau, déjà fort délabré, aux soins de quelques vieux serviteurs, un jour il disparut. Et, ce qu'on apprit plus tard, c'est qu'il consacrait sa fortune, qui était assez considérable, à parcourir les principaux centres lyriques de l'Europe, les théatres de l'Allemagne, de la France, de l'Italie, où il pouvait satisfaire à ses insatiables fantaisies de dilettante. était-ce un excentrique, pour ne pas dire un maniaque ? La bizarrerie de son existence donnait lieu de le croire.
Cependant, le souvenir du pays était resté profondément gravé dans le coeur du jeune baron de Gortz. Il n'avait pas oublié la
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