aux cheveux.
--Trappeur, souffla-t-il tout bas, un ami est là, soyez sur vos gardes!
Si faiblement que fussent dits ces mots, ils arrivèrent aux oreilles du
prisonnier qui dressa soudain la tête et regarda autour de lui.
--Chut! ajouta Nicolas, sortant du buisson.
Le captif l'aperçut. Mais il comprima l'émotion que cette apparition
imprévue avait soulevée en lui.
Les dangers incessants qui environnent un trappeur du Nord lui ont
appris à sentir et à réfléchir promptement...
Nicolas coupa les lanières qui assujettissaient le captif à son cheval,
puis, tranchant les liens mis à ses poignets, il lui plaça entre les mains
une paire de pistolets.
Tout cela se fit avec une rapidité et une dextérité dont les lourds
habitants des villes ne peuvent se faire une idée exacte.
Un novice eût certainement échoué, mais l'habitude et l'adresse
aplanissent la surface rugueuse des impossibilités apparentes.
Nicolas se retira ensuite derrière la roche et l'autre trappeur, se coulant
sans bruit à bas du cheval, le suivit. Aussitôt le cri de guerre des
Pieds-noirs retentit dans le vallon.
--Maintenant, étranger, en avant! escaladons cette montagne.
Tenez-vous près de moi et je vous garantis que nous ferons faire plus
d'une culbute à ces damnés païens. Feu, quand vous trouverez une
chance! Mais ne gaspillez pas votre plomb!
Et là-dessus Nicolas s'élança sur les rochers avec l'agilité d'une
antilope.
--Mes membres sont pas mal engourdis, mais n'ayez pas peur, dit l'autre,
j'en ferai bon usage.
Les Pieds-noirs les poursuivaient en hurlant de désappointement.
Par bonheur, les fugitifs avaient un peu d'avance. Et comme ils étaient
rompus aux vicissitudes de l'existence et aux périls du Far-west ils
n'appréhendaient guère de tomber entre les mains de leurs ennemis.
Les Indiens envoyèrent plusieurs coups de fusil, mais sans les atteindre.
En dix minutes nos fuyards furent au sommet de la montagne.
Ils respirèrent un moment, et Nicolas rouvrit la marche en conduisant
son compagnon vers une partie plus accessible de cette contrée.
III
LA PORTE DU DIABLE
Nicolas désirait vivement voir le visage de son compagnon; mais
l'obscurité l'empêchait de distinguer ses traits.
Ce ne fut qu'à une heure avancée, quand la lune se leva, qu'il put se
satisfaire à cet égard.
Un examen plus attentif de l'individu le confirma dans son idée
première. C'était le type du franc-trappeur nomade, sur lequel les
moeurs indiennes avaient fortement déteint.
Il était sans doute adonné aux habitudes de cette race, car il avait sur la
vie des principes faciles, et un mépris cordial pour les gens en dehors
de sa profession.
La physionomie qu'il offrit à Nicolas, éclairée par les premiers rayons
de la lune, n'était pas propre à attirer l'amitié ou à assurer la confiance.
Il avait les yeux enfoncés, et d'une expression sinistre. Son front était
bas, contracté par un froncement perpétuel. Un nez épaté et aplati,
surmontait sa bouche, démesurément fendue, comme celle d'un animal
carnassier. Le menton était court, le cou gros, les épaules larges.
La vétusté et l'usure avaient rongé ses vêtements d'étoffe grossière.
Pour compléter ce vilain portrait, le trappeur louchait.
Nicolas se dit dans son for intime que sa dernière aventure n'avait pas
ajouté une acquisition importante au nombre de ses amis. Bref, il n'était
pas content de celui qu'il venait de sauver; car si ce dernier ne payait
pas de mine, il ne séduisait pas plus par son langage.
Il avait la parole sèche, cassante. Ses phrases partaient comme les
décharges d'une catapulte ou d'une batterie. De plus il les accentuait
d'un certain grognement rien moins que plaisant.
Dans la rapidité de leur fuite, au milieu des ténèbres, Nicolas s'était
écarté de la route qu'il avait l'intention de prendre.
Il se trouvait alors sur une éminence, entourée par un paysage d'un
caractère sauvage et pittoresque. Jetant les yeux à l'est, il lui sembla
apercevoir les ruines d'une grande cité.
L'apparition était produite par de longs et énormes amas de rochers,
empilés les uns sur les autres, découpés en forme de murailles, de tours
chancelantes et de colonnes brisées.
Cette ville fantastique couvrait les flancs et le sommet d'une montagne,
et s'étendait à perte de vue dans les profondeurs d'une sombre vallée.
Jamais, dans toutes ses excursions, le trappeur n'avait vu un spectacle
plus digne d'attention. Il le contemplait avec émerveillement quand son
compagnon lui dit:
--Une chique, hein, étranger?
Nicolas tourna la tête et rencontra le regard lourd du quémandeur.
--Vous avez faim d'un morceau de tabac, pas de gêne, je puis vous
satisfaire, quoique je n'en use pas fort moi-même, dit-il. Mais vous
vous étiez fourré dans une maudite petite difficulté, n'est-il pas vrai?
--Difficulté! peuh! ce n'est pas pour la première fois, étranger, ni pour
la dernière, j'espère. C'est plein d'accidents comme ça, dans ce pays-ci.
On s'habitue à tout, après un bout de temps, vous savez?
Le franc-trappeur s'arrêta, mordit à pleines
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.