faire cette remarque. Maraudeur en eût mangé sa queue de
dépit, et Infortune ne se fût jamais pardonné d'être née chienne.
Éloigne-toi, je te prie. Tu ne voudrais pas me faire de la peine, n'est-ce
point?
--Vous êtes brave, Nicolas, et vous ne pouvez voir une créature dans
l'embarras, je le sais. Mais je crains que vous ne vous exposiez, que
vous ne risquiez votre vie pour ce captif. Ne secouez pas la tête. J'en
suis aussi sûr que si je vous voyais à l'oeuvre. J'irai avec vous.
--Pour quoi faire, bonté divine! gêner mes mouvements, me retarder; te
mettre dans une méchante difficulté. Merci, garçon. Mais j'ai dit non et
c'est non. Celui qui sent une piste doit aller vite; comme l'ombre il doit
passer d'un point à un autre et aussi mollement que l'ombre.
--Je vous obéirai, dit tristement Sébastien. Mais promettez moi de faire
bien attention et de ne pas me priver de mon unique protecteur.
--Je le promets. La témérité et l'imprudence seraient nuisibles. Je ne
courrai aucun risque... si je puis. Je serai subtil comme le serpent,
dangereux autant que possible. Appelle les chiens; qu'ils ne viennent
pas avec moi!
Le jeune garçon partit avec répugnance et remonta lentement vers le
plateau, tandis que Nicolas descendait rapidement à la vallée.
Le soleil éteignait ses feux à l'horizon et les brumes du crépuscule se
traînaient déjà dans les gorges de la montagne. Le trappeur atteignit une
piste fraîche. Il s'y arrêta un moment, inspecta sa carabine et son
équipement, serra sa ceinture et reprit sa marche comme un homme qui
a pris un grand parti. Ses allures fermes et sûres prouvaient que la
contrée lui était familière.
--Je sais à peu près où ils iront, se disait-il; étant à cheval, ils seront
obligés de longer les sinuosités de la vallée. Mais je trouverai un
chemin plus court.
Cessant alors de suivre les ondulations du terrain, il coupa droit à
travers l'éperon de la montagne. Pendant deux heures, il parcourut un
pays, tantôt montueux, tantôt marécageux et inaccessible aux pieds
inexpérimentés; au bout de ce temps, il était au terme de son excursion.
C'était un vallon entre deux montagnes et arrosé par un petit tributaire
de la branche orientale de la Saskatchaouane. Sur la rive sud s'étendait
une passe étroite à demi masquée par des rochers et des buissons. Cette
passe menait aux prairies de la Saskatchaouane et aux territoires de
chasses des Pieds-noirs.
Deux cavaliers ne pouvaient marcher de front dans ce sentier.
D'après les calculs du trappeur Nicolas, les Indiens et le prisonnier
devaient passer là pour se rendre à leur village. Il résolut de se poster
près de l'eau, et de les attendre, car il espérait qu'en arrivant, ils
abreuveraient leurs chevaux et peut-être feraient une halte avant de se
remettre en route.
Une grosse roche couverte de mousse et entourée de halliers épais de
mesquites se dressait sur la rive. Nicolas se blottit derrière.
La nuit devenait plus noire. Les chaînes de montagnes s'abîmaient dans
ses plis épais.
Le val ressemblait à un temple désert dont les passes et les défilés
étaient les ailes mystérieuses; les rochers abrupts, les murs rongés par
le temps, et le ciel sans étoiles, le dôme immense.
La prévision du chasseur se réalisa.
Un piétinement de chevaux, assourdi, lointain d'abord, clair et plus
rapproché ensuite, se fit bientôt entendre.
Les scènes et les incidents de la vie du désert n'affectent pas les nerfs
d'un trappeur aguerri, comme ceux de l'homme sortant des
établissements civilisés. Aussi, Nicolas reçut-il avec son calme habituel
ces signes de l'arrivée des sauvages.
Dans certaines circonstances sang-froid vaut bravoure. Il permet de
saisir tous les avantages et d'en profiter.
Pénétrant dans le vallon, les sauvages marchèrent à la rivière qu'ils
traversèrent immédiatement. Ce mouvement les conduisit tout près de
la retraite que s'était choisie le trappeur. Ils échangèrent ensuite
quelques mots dans leur idiome, mirent pied à terre, et firent boire leurs
chevaux en les tenant par la bride.
Effrayé de quelque objet insolite, l'animal que montait le prisonnier
recula jusque vers le fourré de mesquites où se tenait tapi Nicolas.
Le guerrier aux sept plumes, qui était le chef du parti, fit peu attention à
ce détail; toute tentative d'évasion de ce côté semblait du reste
complètement inutile, car nul, si audacieux qu'il fût n'aurait osé pousser
un cheval sur cette montée rocheuse, presque perpendiculaire.
Pour le trappeur c'était, toutefois, un moment propice. La providence
favorisait apparemment ses intentions.
Les Indiens se tenaient toujours immobiles près de la rivière.
Débuchant à demi de sa cachette et tirant de sa gaine un couteau bien
affilé, Nicolas se disposa à exécuter son hardi projet.
Un tressaillement, une exclamation pouvait le trahir. Il imita le
sifflement du serpent.
Le captif tourna légèrement la tête, Nicolas saisit,--qu'on nous
pardonne l'expression,--l'occasion
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