Le chasseur noir | Page 8

Émile Chevalier
l'esprit du tonnerre vit ici. J'y ai moi-m��me senti des commotions souterraines. Un peu plus loin s'��tend une vall��e, la vall��e du Trappeur perdu. Nous l'appelons la vall��e du Trappeur, par abr��viation.
--Qui a donn�� les noms �� ces localit��s? interrogea Nicolas, fixant sur son compagnon un regard p��n��trant.
--Toute place doit avoir un nom, vous savez, r��pliqua l'autre d'un ton embarrass��. Une circonstance fait nommer cette place-ci, une autre celle-l��. J'ai appris �� les conna?tre, parce que plus d'une fois j'ai camp�� �� la rivi��re aux Loutres, qui n'est pas �� plus de quatre ou cinq milles d'ici. Mais vous-m��me, ��tranger, est-ce que vous n'avez pas aussi un nom?
Et �� son tour, il toisa Nicolas.
--Vous avez raison, monsieur, r��pondit celui-ci. Des noms, j'en ai eu en masse, et je n'ai pas honte de les dire, ? Dieu, non! D'apr��s leurs notions pa?ennes, les Indiens m'appellent T��n��breux, supposant que je suis artificieux, ce qui est une erreur de leur jugement. Le fait est que je ne suis ni sombre, ni profond, mais transparent comme l'onde du ruisseau, oui bien, je le jure, votre serviteur! Mais pour avoir double face, double conscience, nenni. Je ne porte pas deux visages, je n'en ai jamais port��, ? Dieu, non!
Nicolas reprit longue haleine et soupira lentement de l'air d'un homme qui sent qu'on lui a fait une injustice.
--T��n��breux! s'��cria l'autre avec un sourire moqueur. Vous n'en avez pas la mine. Mais quel est votre nom blanc? Je me soucie peu de titres rouges.
--Il y a bien un nom duquel on avait l'habitude de m'appeler, mais depuis qu'il est tomb�� au bout de la langue de ceux qui grouillent dans les ��tablissements[12], et qu'il a fait causer une quantit�� d'oisifs qui ne savent rien du tout, je n'ai plus de go?t �� le mentionner aux ��trangers. La v��rit�� est que ces fain��ants m'ont flanqu�� dans les papiers publics et que je n'aime pas du tout ?a. Je vous leur soul��verai une maudite petite difficult��, si jamais je vais jusqu'�� leurs villes. Mille castors, je ne m'attendais pas �� cette m��chancet��. Je supposais qu'on me laisserait vivre et mourir en paix sur les prairies, avec mon fusil et mes attrapes �� mon c?t��, mes chiens et chevaux autour de moi. Mais nous ne sommes s?rs de rien dans ce monde--rien que des difficult��s. Celles-l�� on peut y compter avec certitude. On m'a touch�� �� un endroit sensible en me faisant imprimer et en doutant des traditions de ma famille, ? Dieu, oui[13]!
[Note 12: Les trappeurs appellent ��tablissements les lieux habit��s par les civilis��s, c'est-��-dire nos villes, villages, etc.]
[Note 13: Voir les Pieds-Noirs.--Michel L��vy fr��res, ��diteur.]
--Diable, interrompit l'autre, si vous y allez comme ?a, autant vaut nous en tenir l��, vous n'arriverez jamais �� ma question. Quant aux impressions et b��tises de cette esp��ce, je m'en moque comme d'un vieux mocassin; d'ailleurs je ne suis pas si sot que de savoir lire.
--Moi, je suis modeste de ma nature, quoique j'aie bien mes petites particularit��s, reprit Nicolas. Tout ce que je d��sire, c'est qu'on me laisse tranquille.
Puis il coucha sa carabine �� terre et ajouta emphatiquement:
--Oui, Nick Whiffles d��sire qu'on le laisse tranquille, dire ses histoires, faire ses plaisanteries, vivre de sa vie propre �� sa propre mani��re, ? Dieu, oui!
Le franc-trappeur recula un peu, macha violemment sa chique, examina Nick des pieds �� la t��te, et dit d'une voix qu'��paississait le jus de tabac:
--Vous, Nick Whiffles! ah! oui; ?a m'en a l'air!
--Qu'est-ce que vous entendez par l��? demanda s��chement Nick.
--J'entends que je ne suis pas tout �� fait un dindon, r��pliqua le trappeur avec une grimace.
--Je ne vous comprends pas pr��cis��ment. Soyez un peu plus clair si ce n'est pas trop de peine, continua tranquillement Nick.
--Eh! ne me jetez pas de poussi��re aux yeux si vous ne voulez pas que je louche! fut-il ripost�� avec un sang-froid provocateur.
--Je n'aime pas qu'un homme commence ma connaissance par douter de ma parole, r��pliqua aigrement Nick. Si vous ne pouvez croire celui qui vous dit son nom, vous devez ��tre un homme sans foi, et m'est avis que nous ne pouvons plus suivre le m��me chemin. Je ne suis pas querelleur, mais je veux que l'on me croie quand je dis la simple v��rit��. Je ne suis pas fier de mon nom, ? Dieu, non! et pour les raisons que j'ai donn��es, j'aimerais bien �� le perdre[14]. Mais si vous suspectez ma v��racit��, je crains qu'une diablesse de difficult�� ne s'��l��ve entre nous.
[Note 14: On sait que les Anglais d��signent volontiers le diable sous le nom de Nick, Old Nick, etc.]
--Ah! ah! vous menacez! Vous voudriez me pincer, n'est-ce pas? Tr��s-bon, M. T��n��breux, je vas vous donner une le?on de savoir-vivre. Huh!
Le trappeur couronna sa remarque d'un grognement qui e?t honor�� un ours gris.
--Avant d'aller plus loin, j'aimerais �� avoir une sorte
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