qui fournit un nombre infini d'illustrations: cardinaux, évêques,
maréchaux de Savoie, lieutenants-généraux du duché, chevaliers de
l'Annonciade, etc.
Ruiné en partie sous le duc Charles Ier, le château de La Chambre fut
entièrement détruit par le roi François Ier de France, en 1536.
Donc ce fut à La Chambre, un jour de marché, que je vis pour la
première fois François Guigonnet, plus familièrement appelé Guignon,
chasseur d'ours de son état. Il y a de cela deux ans. Si vous saviez ce
que c'est qu'un jour de marché à La Chambre!
Il y avait des Villarmeches en robes noires rayées de galons bleus;
chaque galon représente un sac de mille francs, faisant partie de la dot
de la fille; il y avait de grosses rougeaudes, aux bras nus, aux cheveux
crépus, habitantes des Cuines; il y avait des filles des Beauges, dont la
beauté orientale, la démarche lente et grave dénoncent l'origine
sarrazine. Que sais-je? toutes les races de la Maurienne se confondaient
pêle-mêle sur le pré que côtoie le torrent de Bugeon.
François Guigonnet allait et venait d'un groupe à l'autre, lançant à l'un
une grosse plaisanterie, serrant la main d'un autre de façon à la broyer,
décochant un compliment à celle-ci, saluant avec respect les vieillards,
et veillant avec attention sur ses paroles: Chacun sait qu'une langue de
jeune homme est souvent beaucoup trop prompte.
Il portait un pantalon et une veste de drap bleu, un gilet gris, une
cravate noire; ses pieds étaient chaussés d'énormes souliers, autour
desquels la semelle faisait comme un petit trottoir. Une ceinture de
laine rouge s'enroulait autour de son corps. Un feutre à larges bords
complétait ce costume et couvrait ses longs cheveux bruns.
--Connais-tu cet homme-là, me dit mon oncle Hilarion en me montrant
Guigonnet.
--Pas le moins du monde! répondis-je avec indifférence.
--Eh bien! neveu, c'est le chasseur d'ours. Nous allons faire
connaissance avec lui, et il te contera ses histoires.
La présentation fut bientôt faite. François Guigonnet était obligé de
rester quelques jours à La Chambre où le retenaient des affaires de
famille. Il voulut bien passer avec moi tous les instants de loisir qu'il
eut, et je fus bientôt au courant de tous les détails de sa vie.
C'était un bien beau caractère que celui de François Guigonnet: un
caractère grand, ouvert, généreux. Il possédait le vrai courage, la
résolution indomptable unie au sang-froid. Il y avait en lui une teinte de
poésie qui le distinguait des autres hommes de la montagne, et
l'entourait, à mes yeux, d'une véritable auréole.
Chez un Savoyard, le courage est chose ordinaire: il voit trop souvent
la mort de près, pour qu'il en ait peur... Chez le montagnard, le courage
se transforme en une sorte d'exaltation. Il aime le danger parce que c'est
le danger; parce que le danger est son élément. Il peut, à chaque instant,
rouler d'abîme en abîme jusqu'au fond de ces précipices, dont aucun
oeil humain n'a jamais sondé la profondeur; il peut être enseveli sous
une avalanche, tomber dans une fente de glacier, mourir écrasé par la
chute d'une roche, devenir la proie des loups ou des vautours! Qui sait?
Il peut avoir à souffrir les tourments épouvantables de la faim et de la
soif!...
Rien n'y fait.
Il part d'un pied leste, le front haut, l'oeil fixe, le fusil sur l'épaule, et
chantant à pleine voix l'antique chanson des montagnards:
Amis, que la montagne est belle! Fuyons les bruits de la cité. Courons
gaîment fêter loin d'elle Notre pays, sa liberté! Le sac au dos, en main
la pique, Pressons le pas. Faisons un effort énergique, Pressons le pas.
Que les dangers ne nous arrêtent pas, Car les dangers pour nous
n'existent pas!
Ce courage, cette exaltation leur donnent une adresse à nulle autre
pareille. Ils luttent contre la montagne. Ils franchissent d'un pas ferme
les passages les plus difficiles: ils mesurent, sans vertige, la profondeur
des gouffres: ils marchent sans crainte sur les bords des crevasses des
glaciers, ils défient l'orage et supportent avec indifférence les rafales du
vent. Oh! ce sont des hommes forts!
Et puis, sous leurs yeux se déroule un paysage immense autant que
varié. Ils ne voient jamais deux fois la nature sous le même aspect. En
hiver, c'est un vaste manteau de neige sur lequel tombe un maigre
rayon de soleil qui donne à cette blancheur un chatoiement de perle;
alors, le ciel est gris, terne, pommelé de nuages; alors, tout dort! Mais
au printemps, le monde s'éveille; la neige a fondu et remplit maintenant
les larges combes dans lesquelles mugissent les torrents noirs; le mont
revêt sa robe de verdure; ce sont des prairies semées de fleurs, des
arbustes qui grimpent sur des roches, couvrant leur nudité d'une
guipure de feuillages; des amandiers couverts de fleurs blanches, des
sapins aux feuilles sombres
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