et haussa les épaules:
--Ah! petiot, me répondit-il, tu ne sais pas quel charme, quelle beauté,
quel attrait mystérieux ont nos légendes! Si tu veux faire des livres, il
faudra bien apprendre tout cela!
Petiot!!!
Dans toute cette phrase de mon oncle, je n'avais entendu que le mot
petiot, et j'allais avoir quinze ans au 23 octobre prochain!
Je dévorai ma rage, espérant que l'ours ne tarderait point à venir.
--Un matin donc, reprit mon oncle, nous nous dirigeâmes vers les tours
de Montmayeur. Nous étions six, en y comprenant ma petite chienne
Blondette, qui était bien la bête la plus intelligente que j'aie connue.
Elle me suivait pas à pas.
Comme je ne pouvais point marcher aussi lestement que mes grands
cousins, j'allai tranquillement, suivant à dix pas mon cousin Camille.
Voilà que tout à coup...
--Bon! interrompis-je encore, nous y sommes! mon oncle me jeta un
regard sévère et reprit:
--.... Blondette se fourvoie dans un buisson et lance un lièvre qui passe
entre mes jambes. Je me serais taxé de présomptueux si l'idée m'était
venue de tirer un lièvre à la course. Blondette détala à la suite de
l'animal aux longues oreilles, et me voilà parti après ma chienne,
brandissant mon fusil au-dessus de ma tête.
Mes cousins s'étaient arrêtés et riaient de tout leur coeur.
--Bravo, petit! me criaient-ils, bravo!
Au lieu de venir à mon secours, ces badauds riaient et me
contemplaient, bouche béante.
Le lièvre courait toujours, Blondette aboyait, moi, je commençais à
perdre haleine.
Enfin ce bon lièvre vint se jeter dans un champ de pommes de terre.
Mes cousins arrivèrent; mais je réclamai l'honneur de tirer le premier
coup, et profitant d'un moment où le lièvre laissait passer ses oreilles
derrière les feuilles, j'envoyai ma charge tout entière..... dans les
mollets de mon cousin André.
Ma foi! je fis comme les cousins de mon oncle, j'éclatai de rire, tant et
si fort, que mon accès d'hilarité dura cinq bonnes minutes.
Il faut si peu de chose pour faire rire les enfants! Quand j'eus ri tout à
mon aise, Hilarion Bruno recommença son récit.
--Tu dois penser quels cris d'épouvante furent poussés de côté et
d'autres. Les échos, de la montagne en retentissaient... Je crus avoir
commis un meurtre, et je me mis à fuir. Mes cousins m'arrêtèrent en
poussant un grand cri.
[Illustration: L'OURS.]
Je levai la tête...
A dix pas de moi, un ours de la plus belle taille s'amusait à fourrager
dans un magnifique champ d'avoine. A notre vue, il huma l'air, grogna
et s'enfuit dans la direction de la montagne.
Je m'élançai à sa poursuite... Un coup de feu retentit... une balle siffla à
mon oreille et je vis l'ours s'affaisser en poussant un gémissement
lamentable.
Mes cousins m'expliquèrent alors que le champ était entouré d'une
corde supportée par des piquets plantés de distance en distance. Un
fusil y était adapté, disposé de manière à faire feu pour peu que l'on
touchât la corde traîtresse.
--Et le mollet du cousin! demandai-je en souriant.
--Bah! répondit Hilarion Bruno, le mollet du cousin était protégé par de
fortes guêtres, et le plomb n'avait touché que le cuir.
--Et c'est votre première chasse à l'ours? mon oncle.
--Oui, neveu. Mais depuis lors j'en ai vu bien d'autres!
--Vraiment?
--Oui! j'ai chassé le renard en Angleterre, le loup en Russie, l'ours blanc
dans les mers du Nord, le lion en Afrique, la panthère à Java, le tigre
dans les Indes et l'homme dans les pampas américaines!
--L'homme!!!
--Le Peau-Rouge, neveu. Il est certains cas où il vaut mieux chasser
qu'être chassé!
Je vous l'ai déjà dit, mon oncle Hilarion Bruno avait un faible pour les
sentences philosophiques.
--Si tu veux, Charles, me dit-il quand je le quittai, nous irons demain
faire une partie de chasse.
--Oh! merci, merci, je n'aime point les ours.
Il haussa les épaules:
--Comme on élève les jeunes gens aujourd'hui! murmura-t-il avec un
sourire de piété. Eh bien! nous nous contenterons de tirer le renard.
Cette fois, je ne pus que m'incliner.
--Sais-tu au moins tenir un fusil?
La modestie n'est pas mon fort:
--Ah! mon oncle, répondis-je, mieux qu'une plume, à coup sûr!
II
Le lendemain, nous partîmes à l'aube pour aller chasser le renard du
côté d'Aiguebelle.
Aiguebelle est un gros village, un petit bourg dont l'unique prétention a
toujours été de se donner comme une ville. C'est la patrie par
excellence du commérage et des plaisirs champêtres. On y décore
toutes choses d'un nom pompeux: la mairie devient Hôtel-de-Ville, et la
justice de paix est un palais-de-justice. Les habitants n'appelleront
jamais leur pasteur: «Monsieur le curé», mais bien: «Monsieur
l'archiprêtre». Soyez avocat, médecin, notaire, professeur; ce titre
suivra chaque fois le mot monsieur quand on s'adressera à votre
personne.
Aiguebelle est formé d'une seule rue qui n'est autre
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