Le capitaine Paul | Page 8

Alexandre Dumas, père
à l'averse, de
l'averse à l'orage, et de l'orage à la tempête.
Le pauvre Harel était au supplice: il entassait prises sur prises.

Au troisième acte, il sonna pour qu'on lui remplît sa tabatière.
George ne soufflait pas le mot.
Bocage commença à me trouver plus usé que le public n'avait dit.
La lecture finit au milieu de la consternation générale.
-- Eh bien, fis-je à Harel, je vous l'avais bien dit.
-- Le fait est, mon cher, dit Harel en se bourrant le nez de tabac, le fait
est que, cette fois, là, franchement, il faut vous dire ces choses-là en
ami, je crois que vous vous êtes trompé.
-- C'est l'avis de George surtout; n'est-ce pas, George?
-- Moi... vous savez bien que je n'ai pas d'avis. Je suis engagée au
théâtre de M. Harel; je joue les rôles qu'on me distribue.
-- Pauvre victime! Eh bien, rassurez-vous, ma chère George, vous ne
jouerez pas celui-là.
-- Cependant je ne dis pas qu'en faisant quelques corrections...
-- En coupant le rôle du capitaine Paul, par exemple?
-- Allons, bien, voilà que vous pensez que je ne veux pas jouer le rôle à
cause de M. Bocage.
-- Vous ne voulez pas jouer le rôle parce qu'il ne vous convient pas,
chère amie, voilà tout. J'ai prévenu Harel; c'est lui qui s'est entêté,
prenez-vous-en à lui. Seulement vous savez, Harel...
-- Quoi, cher ami?
-- Notre lecture reste entre nous; la pièce ne vous convient pas, elle
peut convenir à un voisin.
-- Comment donc! c'est faire...

Et, tout en portant son pouce et son index à son nez pour absorber une
dernière prise de tabac, Harel appuya la main sur son coeur.
Je roulai mon manuscrit, j'embrassai George.
-- Sans rancune, chère, lui dis-je.
-- Oh! me répondit George, vous savez bien que ce n'est point de cela
que je vous en veux.
-- Je m'en vais avec vous, dit Bocage.
-- Non, non, restez, cher ami; je crois que vous êtes en froid avec votre
directeur et votre directrice, c'est une occasion de vous raccommoder.
Et je sortis.
Le lendemain, la première personne que je rencontrai me dit:
-- Vous voilà donc revenu, vous?
-- Sans doute.
-- Oui, oui, oui, j'ai lu cela ce matin dans le journal.
-- Comment! le journal a eu la bonté d'annoncer mon retour en France?
-- Indirectement.
-- Ah!
-- Oui... à propos d'une pièce que vous avez lue à la Porte-Saint-
Martin.
-- Et qui a été refusée?
-- Le journal a dit cela; mais je suppose que ce n'est pas vrai?
-- Hélas! mon cher, c'est la vérité pure.

-- Mais qui donc a fait mettre cela dans les journaux?
-- Personne.
-- Comment, personne?
-- Mon cher, ces choses-là se trouvent toutes composées; le metteur en
pages les rencontre sur le marbre et les insère par erreur.
L'erreur faite, il en est désespéré mais que voulez-vous?
-- Ah! n'importe, c'est bien malveillant. -- Ah! cher ami que vous avez
d'ennemis!
Et la première personne s'éloigna en levant les bras au ciel.
Pendant huit jours, ce fut la même gamme.
Il va sans dire qu'après ce concert de plaintes funèbres, qu'après tous
ces discours prononcés sur la tombe de l'auteur d'Henri III et d'Antony,
aucun directeur n'eut l'idée de demander à jouer le Capitaine Paul.
Pauvre Capitaine Paul! il était regardé comme un posthume!
Quatrième phase. -- Transformation.
Cependant, vers 1835, je crois, la Presse s'était fondée, et j'y avais
inventé le roman-feuilleton.
Il est vrai que l'essai n'avait pas été heureux. Girardin ne m'avait livré
qu'un feuilleton hebdomadaire et j'avais débuté par la Comtesse de
Salisbury, qui n'est pas une de mes meilleures choses.
En feuilleton quotidien, le roman eût pu se soutenir.
En feuilleton hebdomadaire, il ne fit aucun effet.
Mais les autres journaux n'en adoptèrent pas moins ce nouveau mode
de publication.

Le Siècle m'envoya Desnoyers.
Louis Desnoyers est un de mes plus vieux camarades. Nous avions fait
de l'opposition littéraire et politique ensemble dès 1827. Nous avions
fondé, avec Vaillant -- je ne sais ce qu'il est devenu -- et Dovalle, qui a
été tué en duel, un journal intitulé le Sylphe; on oublia ce titre pour
l'appeler le Journal rose, attendu qu'il était imprimé sur papier rose; sa
couleur lui avait valu de nombreux abonnements de femmes.
À quoi tient le succès!
La révolution de Juillet tua le Journal rose! Mira tua Dovalle. J'étais
vice-président de la commission des récompenses nationales: je fis
Vaillant sous-officier et l'envoyai en Afrique, où les Arabes, selon toute
probabilité, ont tué Vaillant.
Il y avait bien longtemps que nous ne nous étions vus, Desnoyers et
moi.
D'abord, j'arrivais d'un long voyage; puis les gens qui ont beaucoup à
faire ne se voient pas.
Le Siècle ne pouvait donc choisir un ambassadeur
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