Le capitaine Paul | Page 9

Alexandre Dumas, père
qui me fût plus
sympathique. Aussi, depuis vingt ans, est-il accrédité près de moi.
Il fut convenu que je donnerais au Siècle un roman en deux volumes.
Connu comme auteur dramatique, je l'étais très peu comme romancier.
Au théâtre, j'avais donné Henri III, Christine, Antony, la Tour de Nesle,
Teresa, Richard Darlington, Don Juan el Marana, Angèle et Catherine
Howard, je crois.
En librairie, j'avais publié seulement mes Impressions de voyage en
Suisse, mes Scènes historiques du temps de Charles VI, la Rose rouge
et quelques feuilletons de la Comtesse de Salisbury.
Le Siècle était un journal à trente mille abonnés.

Il s'agissait d'y avoir un succès.
Je signai mon traité avec le Siècle, me réservant le choix du sujet,
m'engageant seulement à ce que le roman n'eût pas plus de deux
volumes.
Seulement le Siècle était pressé.
Je promis de lui donner les deux volumes dans un mois.
Desnoyers alla porter mon engagement au Siècle.
Je voulais en avoir le coeur net. Je prétendais à part moi qu'il y avait un
succès dramatique dans le Capitaine Paul; il devait, par conséquent, y
avoir un succès littéraire.
Tout roman ne peut pas faire un drame, mais tout drame peut faire un
roman.
Les beaux romans qu'on eût faits avec Hamlet, avec Othello, avec
Roméo et Juliette, si Shakespeare n'en avait pas fait trois magnifiques
drames!
Je me mis donc à étudier la marine avec mon ami Garnerey le peintre;
Garnerey, qui a eu depuis un si beau succès en publiant ses Pontons.
Garnerey se chargea, en outre, de revoir mes épreuves.
Au bout du mois, le drame en cinq actes était devenu un roman en deux
volumes.
Maintenant, disons comment le drame reparut à son tour sur l'océan
littéraire, et comment le Capitaine Paul fit son chemin, quoiqu'il
montât une humble péniche, nommée le Panthéon, au lieu de monter
cette frégate de soixante-quatorze que l'on appelait la
Porte-Saint-Martin.
Cinquième phase. -- Résurrection.

Mon drame refusé par Harel, je l'avais porté à mon ami Porcher.
Je n'ai pas besoin de vous dire ce que c'est que mon ami Porcher, chers
lecteurs; si vous me connaissez, vous le connaissez; si vous ne le
connaissez pas, ouvrez mes Mémoires, année 1836, et vous ferez
connaissance avec lui.
Je lui avais dit:
-- Mon cher Porcher, gardez-moi ce drame-là; Harel n'en veut pas:
mademoiselle George n'en veut pas, Bocage n'en veut pas mais d'autres
en voudront.
Porcher secoua la tête.
Porcher ne pouvait pas croire que trois sommités comme Harel, George
et Bocage se trompassent.
Il aimait naturellement mieux croire que c'était moi qui me trompais.
N'importe! comme le Capitaine Paul ne tenait pas grande place et ne
coûtait pas cher à nourrir, il plia proprement les cinq actes les uns
contre les autres et les mit dans son armoire.
Ils y sommeillaient bien tranquillement depuis cinq mois lorsque le
Siècle annonça le Capitaine Paul, roman en deux volumes, par
Alexandre Dumas.
La première fois que je revis Porcher.
-- À propos, me dit-il, faut-il que je vous renvoie votre Capitaine Paul?
-- Pourquoi cela, Porcher?
-- Ne paraît-il pas dans le Siècle?
-- En roman, Porcher, pas en drame.
-- C'est que, lorsqu'il aura paru en roman il sera bien plus difficile à

placer encore que lorsqu'il était inédit.
Pauvre Capitaine Paul! voyez dans quelle situation fâcheuse il était.
-- Difficile à placer! au contraire, dis-je à Porcher, cela le fera
connaître.
Porcher secoua la tête.
-- Porcher, écoutez bien ce que vous dit Nostradamus. Il y aura une
époque où les libraires ne voudront éditer que des livres déjà publiés
dans les journaux. Et où les directeurs ne voudront jouer que des
drames tirés de romans.
Porcher secoua une seconde fois la tête, mais bien plus fort que la
première fois.
Je quittai Porcher.
Le Capitaine Paul inaugura au Siècle, la série de succès que nous
obtînmes depuis avec le Chevalier d'Harmental, les Trois
Mousquetaires, Vingt ans après et le Vicomte de Bragelonne.
Succès si grands, que le Siècle, jugeant que je n'en aurais plus jamais de
pareils, alla, après la publication de Vingt ans après, porter à Scribe un
traité, où la somme était restée en blanc.
Scribe se contenta de demander, par volume, deux mille francs de plus
que moi.
Perrée trouva la prétention si modeste, qu'il signa à l'instant même.
Scribe publia Piquillo Alliaga.
Revenons au Capitaine Paul.
Malgré le succès du Capitaine Paul en roman, les directeurs ne
mordaient pas au drame.

Porcher triomphait.
Chaque fois que je rencontrais Porcher:
-- Eh bien, disait-il, le Capitaine Paul?
-- Attendez, lui disais-je.
-- Vous voyez bien que j'attends, me répondait-il.
En 1838, une grande douleur me fit quitter Paris et chercher la solitude
aux bords du Rhin.
J'étais à Francfort, je reçus une lettre d'un de mes amis, qui m'écrivait:
«Mon cher Dumas,
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