de lui avec une vénération plus grande encore que
d'habitude pour lui demander des nouvelles certaines à l'endroit du
temps.
Les prévisions n'étaient pas consolantes. À son avis, le temps était
complètement dérangé pour huit ou dix jours; il résultait donc des
observations atmosphériques de Nunzio que nous étions cloués à San
Giovanni pour une semaine au moins.
«Notre parti fut pris à l'instant même: nous déclarâmes au capitaine que
nous donnions huit jours au vent pour se décider à passer du nord au
sud-est, et que, si, au bout de ce temps, il ne s'était pas décidé à faire sa
saute, nous nous en irions tranquillement par terre à travers plaines et
montagnes, notre fusil sur l'épaule, et tantôt à pied, tantôt à mulet;
pendant ce temps, le vent se déciderait probablement à changer de
direction, et notre speronare, profitant du premier souffle favorable,
nous retrouverait au Pizzo.
«Rien ne met à l'aise le corps et l'âme comme une résolution prise,
fût-elle exactement contraire à celle que l'on comptait prendre. À peine
la nôtre fut-elle arrêtée, que nous nous occupâmes de nos dispositions
locatives. Pour rien au monde je n'aurais voulu remettre le pied à
Messine.
Nous décidâmes donc que nous demeurerions sur notre speronare; en
conséquence, on s'occupa de le tirer à l'instant même à terre, afin que
nous n'eussions pas à supporter l'ennuyeux clapotage des vagues, qui,
dans les mauvais temps, se fait sentir jusqu'au milieu du détroit; chacun
se mit à l'oeuvre, et, au bout d'une heure, le speronare, comme une
carène antique, était tiré sur le sable du rivage étayé à droite et à gauche
par deux énormes pieux, et orné à son bâbord d'une échelle à l'aide de
laquelle on communiquait de son pont à la terre ferme. En outre, une
tente fut établie à l'arrière du grand mat, afin que nous pussions nous
promener, lire et travailler à l'abri du soleil et de la pluie; moyennant
ces petites préparations, nous nous trouvâmes avoir une demeure
infiniment plus confortable que ne l'eût été la meilleure auberge de
San-Giovanni.
«Au reste, le temps que nous avions à passer ainsi ne devait point être
perdu. Jadin avait ses croquis à repasser et moi, j'avais arrêté le plan de
mon drame de Paul John, dont ne me restait plus que quelques
caractères à mettre en relief quelques scènes à compléter. Je résolus
donc de profit de cette espèce de quarantaine pour accomplir ce travail,
qui devait recevoir à Naples sa dernière touche, et dès le soir même, je
me mis à l'oeuvre.» Voilà ce que je trouve sur mon journal de voyage,
et ce que je transcris ici pour servir à l'histoire du drame et du roman du
Capitaine Paul, si jamais il prend à quelque académicien désoeuvré
l'idée d'écrire, cent ans après ma mort, des commentaires sur le drame
ou le roman du Capitaine Paul.
Mais nous n'en sommes encore qu'au drame; le roman viendra après.
C'est donc à bord d'un de ces petits bâtiments -- hirondelles de mer, qui
rasent les flots de l'archipel sicilien -- sur les rivages de la Calabre, à
vingt pas de San-Giovanni, à une lieue et demie de Messine, à trois
lieues de Scylla, en vue de ce fameux gouffre de Charybde qui a tant
tourmenté Énée et son équipage -- que le drame du Capitaine Paul fut
écrit, en huit jours, ou plutôt en huit nuits.
Un mois après, je le lisais à Naples -- près du berceau d'un enfant qui
venait de naître -- à Duprez, à Ruolz et à madame Malibran.
L'auditoire me promit un énorme succès.
L'enfant qui était au berceau et qui dormait au bruit de ma voix comme
au murmure berceur des chants de sa mère, était cette charmante
Caroline qui est aujourd'hui une de nos premières cantatrices.
À cette époque, elle s'appelait Lili; et c'est encore aujourd'hui, pour les
vieux et fidèles amis de Duprez, le seul nom qu'elle porte.
Troisième phase. -- Déception.
Je revins en France vers le commencement de l'année 1836: mon drame
du Capitaine Paul était complètement achevé et prêt à être lu.
Avant que je fusse à Paris, Harel savait que je ne revenais pas seul.
La dernière pièce que j'avais donnée au théâtre de la Porte-Saint-
Martin était Don Juan el Marana, que l'on s'est obstiné à appeler Don
Juan de Marana.
Don Juan avait réussi; mais Don Juan portait avec lui pour Harel du
moins, la tache du péché originel.
Don Juan n'avait pas de rôle pour mademoiselle George.
Harel, sous ce rapport, était non pas l'aveuglement, mais le dévouement
incarné; -- pendant tout le temps qu'il fut directeur, son théâtre demeura
un piédestal pour la grande artiste, à laquelle il avait voué un culte.
Auteurs, acteurs, tout lui était sacrifié; si la divinité splendide qu'il
adorait eût
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