injure à personne, même à Malherbe, en affirmant qu'il n'était
nullement nécessaire qu'il vînt. Boileau estimait trop Horace pour ne
pas méconnaître notre ancienne littérature vivante et vibrante, et pour
ma part je fais bon marché de ce classique aligneur de rimes, ne
serait-ce qu'en faveur de Ronsard et «ses pipaux rustiques,» ou de
Saint-Amant, «ce fou qui décrivait les mers.»
Au reste, sans me lancer dans cette disgression peut-être trop longue à
votre gré, puisque je parle à des croyants et à des fidèles coûtumiers de
ma prose, j'aurais pu chevaucher cet aimable paradoxe que, si tout ce
qui est français moderne ne se comprend pas, tout ce qui, par contre, se
comprend est français; mais il se pourrait que ce sophisme ne vous
convaincût pas, Messieurs, et je passerai outre dans mes
revendications, en affirmant que toute critique relative au néologisme
ne saurait avoir prise sur moi, car je me considère attaché par les
entrailles à la langue-mère si chaude et si noble du seizième siècle,
comme je le suis par l'esprit aux badinages spirituels et aux railleries
profondes du siècle de la Régence.
Je ne veux donc pas prostituer mon langage, et si je néologie, je fais
voeu de ne jamais argoter.--Pour vous prouver combien je suis et veux
rester constant dans les principes et les sentiments que je viens de vous
exprimer avec le sans-façon et la quiétude d'un esprit indépendant et
altier plutôt qu'orgueilleux, je vous présenterai aujourd'hui même, dans
la fraîcheur de sa novelleté, la plus récente expression de mon Langage
amarivaudé et de mon Style minaudier, sans crainte d'effarer mes
charmants aristarques qui finiront, si bon leur semble, par ne voir en
moi qu'un «grand enfant opiniâtre et incorrigible.»
J'aurais pu, Messieurs, intituler ce dernier volume «Le Cadran de...
Cupido,» mais il est des esprits inquiets qui cherchent la petite bête
sans prendre la peine de se regarder par le gros bout de la lorgnette, et
comme il existe en plus--et en nombre aussi peu respectable,--des
Agnès ou des Arsinoë qui n'eussent pas manqué de s'appesantir sur
l'aiguille de ce cadran, jusqu'à offenser la morale, j'ai cru qu'il était de
ma dignité de ne pas prêter le dos aux interprétations malveillantes et
niaises des impuissants assez malheureux pour avoir oublié sur
l'horloge de l'amour l'heure glorieuse de midi.
Afin de lasser la curiosité des badauds chercheurs de lune en plein jour,
et aussi pour mieux me mettre à l'abri du profane vulgaire, j'ai pris et
accroché au fronton de mon petit temple ce titre simple et...
gracieux--(encore un néologisme inventé par Ménage),--ce titre sans
fanfare et sans scandale: «Le Calendrier de Vénus.» Vous n'y trouverez
assurément pas les graves dissertations, les lourds chapitres que vous
seriez en droit d'attendre d'un homme mûr, adipeux, bardé de grec et
de latin et blanchi sous le harnais des sciences stériles, ni même une
étude très fouillée et très prolixe sur la fille de Jupiter et de la nymphe
Diane, sur celle qu'Énée appelait: Dionoea mater.--Je ne voudrais
point être aussi mythologique, parler, hors de saison, de Pline,
d'Horace, de Virgile, de Tacite, de Cicéron ou de Sénèque, pour
conclure en m'anéantissant dans une érudition sans grâces, lors même
que j'invoquerais Aglæia, Thalie et Euphrosine.
Ce livre est issu de l'écume de ma fantaisie et de la volupté de mes
sensations personnelles, comme Vénus est sortie de l'écume de l'onde.
A ceux qui se voileraient le visage, je dirai que je ne maçonne pas les
remparts de mon âme avec la perfidie et les apparences de la chasteté;
je vais volontiers me faire couronner à Amathonte, à Cypre, à Idalie et
à Gnide, et je le dis loyalement: les myrthes me sont plus agréables que
les lauriers, et si, en faune bragart, je cours après les nymphes roses et
friponnes, je ne vais pas avec elles me cacher: sub antro. Le soleil peut
me voir et Phoebé en pâlir sans que le moindre vermillon ne vienne
cardinaliser mes joues.--Je ne permets qu'aux octogénaires de me
blâmer et je leur pardonne, comme on pardonne aux goutteux qui
blâment la célérité des autres, car, selon l'auteur des Questions sur
l'Encyclopédie, nous ressemblons presque tous à ce vieux général qui,
ayant rencontré de jeunes officiers qui faisaient la petite joie avec des
filles, leur dit tout en colère. «Eh! Messieurs, est-ce là l'exemple que je
vous donne?»
J'ajouterai, afin de terminer ce discours trop long à mon gré, et sans
aucun doute au vôtre, que je vous crois, Messieurs et Petits-Maîtres,
trop raffinés et trop sincèrement dégustateurs pour penser que vous
puissiez aujourd'hui espérer de moi un long roman bien cousu, brodé
sur le canevas d'une aventure mirifique et idéale.--Le temps n'est plus
où Bassompierre buvait dans sa large botte et où les courtisans du
dix-septième siècle dévoraient l'Astrée. Si j'étais gentilhomme
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