Le calendrier de Vénus | Page 4

Octave Uzanne
je
serais mal fondé prendre en mauvaise part, car je la crois faite
loyalement et sans parti pris, avec un ton sobre et une affection
quasi-paternelle, par des écrivains bien élevés, d'un esprit judicieux et
éclairé; je veux parler de mes déplorables tendances au style précieux,
papillotant et maniéré; ainsi que de mes aptitudes spéciales à forger
sur l'enclume des dictionnaires anciens les plus imprévus néologismes.
A ce «Cave Canem» placé si charitablement au début de ma route, je
m'efforcerai de répondre avec toute la sympathie que m'inspirent mes
bienveillants critiques et la bonne foi à laquelle ils ont droit. Dans ce
but, et afin de vous faire prendre patience, je pourrais vous conter,
Messieurs, un apologue qui serait mon apologie, mais je préfère
abandonner le genre figuré au propre parler, et laisser de côté
l'histoire naturaliste et sensualiste du roi des truands Fort en Gueule et
du prince Fine Bouche, parabole où chacun de vous eût pu trouver des
allusions peut-être en dehors de mon sujet, mais toutes en faveur de ma
cause.
Si j'invoque en premier lieu ma préciosité, je ne nierai pas avoir été
nourri dans le Salon bleu d'Arthénice et m'être complu aux mièvreries
galantes de la Guirlande de Julie.--Mais qui me porta, je vous le
demande, Messieurs, à courtiser la princesse Aminthe, fille de la
Déesse d'Athènes, et à tisonner mes sympathies ardentes pour les

Ménage, les Voiture, les Sarasin, les Montreuil, les Conrart et ces
Messieurs de Port-Royal?--Qui m'excita à m'amignoter en compagnie
de Stratonice, de Félicie, de Doralise ou de Calpurnie? Qui? sinon mes
précieux instincts littéraires, et mes propensions amoureuses composer
des métaphores assez riches pour capitoner les murailles grises de la
réalité attristante et froide.
Il y a, disait Diderot, des grâces nonchalantes et des nonchalances
sans grâce. A ceux qui me reprochent mon afféterie, j'opposerai ma
personne et mon tempérament, et mettrai en avant mon naturel, mes
goûts, mes sens, mes gestes, ma démarche sans théorie, et l'accent de
mes paroles. De l'orteil aux cheveux, tout en moi se tient sans se
contredire; je puis plaire ou déplaire, mais je me déclare et me sens
incapable d'inspirer de ces sentiments mixtes, tels que de petites
passions ou d'anodines amitiés, voire de l'indifférence. Tel que je suis,
comme homme, je puis être un allumeur de désirs chez les quelques
femmes qui seront frappées par ce qui constitue ma personnalité, de
même que, tel qu'il se présente, mon style pourra séduire entièrement
quelque rare lecteur qui y sentira le naturel de ma griffe, sans éprouver
le besoin d'y apercevoir ma signature au bas de la page.
Je suis donc aussi naturel dans ma démarche et dans mes amours, que
dans mes écrits; aussi peu recherché dans la manière de puiser mes
pensées que dans la façon de les exprimer, si j'y mets quelque chose de
plus que les autres, c'est que ce quelque chose est en moi: il y a des
poules dont les oeufs sont marbrés de vert et de rose, de même qu'il y a
des fleurs au parfum, quintessencié dont peu de personnes peuvent
subir l'approche, mais qui ravissent les odorats dépravés.
Eh! Messieurs, tout est là; il est des hommes qui naissent avec un
caractère bien tranché; il semblerait qu'ils soient plutôt nés
d'eux-mêmes que descendus d'Adam, ils sont au-dessus des tempêtes
comme la mer de cristal que saint Jean vit dans le ciel, laquelle n'était
agitée par aucun vent. Pour moi, toute ma morale consiste dans la
façon de régler mes moeurs selon les préceptes de mon jugement, et j'ai
toujours songé que savoir l'art de plaire ne valait pas la sympathique
manière de pouvoir plaire sans art. Je ne serai jamais, j'en conviens, le

hochet de la foule; «l'esprit du vulgaire, s'écrie un philosophe ancien,
est semblable aux rivières dont les eaux soutiennent les choses les plus
légères et viles comme la paille, les fruits secs et les noix creuses,
tandis que les objets plus précieux et plus pesants comme l'or et les
diamants, y sont ensevelis et roulés dans le sable ou la vase.»
Qu'on ne dise donc pas que je suis précieux par vanité et par genre,
que je mets des grelots à mon style ou que je harnache ma prose
comme une mule espagnole, cela serait hyperbolique et faux, autant
vaudrait affirmer que si je passe sur la place publique, le chapeau
incliné sur l'oreille comme un feutre, le torse cambré, la poitrine en
avant, le manteau jeté en draperie sur la courbe de mon bras et ma
canne au côté comme une rapière, relevant en retroussis ma
cape-pardessus qui traîne à terre, autant vaudrait affirmer, dis-je, que
tous mes gestes sont étudiés, toutes mes poses analysées dans un but de
recherche, tous mes pas bien mesurés pour ne rien déranger à
l'ensemble de ma
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 48
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.