s'arrachait les cheveux à propos de la petite fille, et elle était autorisée à lui dire que le propriétaire de la maison consentirait une diminution importante si on louait à l'année, une diminution plus importante si on faisait un bail, et qu'au surplus il serait disposé à faire toutes concessions attendu qu'il se trouvait harcelé par un des notaires de l'endroit, fort mal logé et très désireux de la maison, mais avec qui il était à couteaux tirés.
--Je connais votre propriétaire, disait madame de Dracézaire, il est à un liard près, et il cédera aux instances du notaire; mais il vous laisserait la maison pour rien, dans l'unique but de jouer à son ennemi un bon tour.
--Il n'y a pas à hésiter, dit Jér?me: madame, en moins de trois semaines, j'ai déjà gagné deux kilos. Ma femme a pris des couleurs, et nous serions ici de petits rentiers fort à l'aise...
--Y penses-tu? objecta Sylvie à cause de madame de Dracézaire, mon ami, et ta situation!
--Ma situation? dit Jér?me.
--Peut-on parler ainsi! s'écria Sylvie, quand on est à la veille de répandre son nom par le monde entier!...
Et elle prenait à témoin sa nouvelle amie, en jetant un regard éperdu sur les papiers où était griffonnée la lamentable histoire de la petite fille.
--Il suffit qu'un nom soit honorable, dit madame de Dracézaire, et l'important est de le transmettre à ses héritiers... Allons! allons! un bon mouvement: que diable! vous aurez le temps, ici, aux veillées d'hiver, d'écrire vos ?amourettes?; un petit voyage à Paris de temps en temps vous maintiendra en contact avec votre éditeur et vos amis influents: je fais préparer le bail qu'on vous apportera à signer demain...
Sylvie, pour qui ?se faire un nom? ce n'était pas écrire, mais voir tous les jours des gens des lettres et des gens qui parlent d'eux, considérait le bail comme une abdication, un renoncement définitif à toute sa vaniteuse gloriole; et d'un autre c?té, tout lui plaisait ici, et elle partageait aussi les désirs qu'avait pour elle madame de Dracézaire. Elle était déchirée par une cruelle alternative; mais ne savait-elle pas que l'indolent, le provincial Jér?me pencherait vers la vie calme et saine qui avait été celle de tous les siens?
--Eh bien! dit-elle, allons réfléchir au grand air. Vous ne nous refuserez pas, madame, de venir faire un petit tour dans ?notre propriété??
* * * * *
On alla faire le petit tour. Le jardin n'était pas immense, et cependant, à chaque promenade, il semblait à Sylvie qu'elle découvrait un coin nouveau: c'était une vigne-vierge qui avait rougi, les hampes des yucas qui paraissaient plus hautes, le prunier de reine-claude qu'on avait dégarni, les poires qui m?rissaient, les melons qui devenaient d'une somptueuse obésité: c'étaient, derrière leur claie, les petits poussins, pareils à des pompons jaunes trois semaines auparavant, et qui étaient à présent d'affreuses et noires bêtes dévorantes; c'était madame Lapin, sous son toit trop odoriférant, qui avait l'avantage de se trouver depuis quelques jours ?en famille?. On alla cueillir des framboises et des grappes de cassis, en enjambant le cordon de pommiers nains, puis picorer, le long du grand mur du midi, les premiers chasselas. Et là, on vit la mère Coinquin s'avancer un bol blanc à la main, avec un peu de lait et une paille:
--Ah ?à, pour qui est le petit go?ter? demanda madame de Dracézaire.
--Ceci, dit Sylvie, c'est le régal de Jér?me II.
--Comment! Jér?me II? Grand Dieu, en auriez-vous un second?
--J'appelle Jér?me tous les lézards, madame; et le nom leur convient, croyez-moi. Tous mes Jér?mes aiment à faire la sieste au soleil et, en général, à ne rien faire.
--Ah! ceci est une épigramme! dit madame de Dracézaire.
Jér?me rougit, mais déjà il s'amusait autant que sa femme à regarder le lézard presque familier, immobile, son petit coeur battant, sur la muraille, aspirer au bout de la paille la gouttelette de lait. Sylvie humectait la paille au fond du bol, et, penchée, la joue sans poudre, halée déjà, dans l'atmosphère ensoleillée et parfumée de l'odeur des fruits, d'un geste minutieux et charmant, elle servait le ?thé?, disait-elle, ?à un de ses chers amis qui, celui-là, ne la débinerait pas en sortant...?
Madame de Dracézaire quitta le jeune ménage en ayant bon espoir; et, sans plus rien dire, s'en fut chez le propriétaire faire rédiger le bail.
* * * * *
Le lendemain, par une après-midi torride de fin d'ao?t, Jér?me et Sylvie, dans la pénombre du salon de perse bleue, s'extasiaient sur la qualité de ces vieilles maisons aux murs épais, au sol dallé, qui entretiennent au coeur même de l'été une si douce fra?cheur. Quelques feuillets griffonnés du ?sinistre? roman, ainsi que l'appelait son auteur, sortaient à demi d'un tiroir entre-baillé. Jér?me, étalé sur un vieux sopha, ferma du pied le tiroir afin de s'épargner la vue de ce qu'il nommait aussi
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