parlé d'un cabinet qui est libre. Les Riffault tiennent un h?tel rue Dauphine, 6, près du café Conti.
Elle écrit avec son orthographe de portière un mot pour les Riffault qu'elle conna?t, et qui ont été concierges, comme elle, avant de s'établir.
Avec ce mot, gras comme les doigts du charcutier qui a vendu les c?telettes, je vais en compagnie de Matoussaint, rue Dauphine, et quoiqu'il soit minuit, on m'ouvre et l'on me conduit au cabinet libre.
J'y arrive par une espèce d'échelle à marches pourries qui a pour rampe une corde moisie et graisseuse; au sommet, entre quatre cloisons, une chaise dépaillée, une table cagneuse, un lit tout bas, en bois rouge, recouvert d'une couverture de laine poudreuse --poudreuse comme quand la laine était sur le dos du mouton;-- l'air ébranle la fenêtre disjointe et passe par un carreau brisé.
Matoussaint lui-même semble effrayé; il a failli se casser les reins en descendant l'échelle.
?Tu es tombé?
--Non.?
Mais je sais que Matoussaint n'aime pas à avouer qu'il est tombé, et il riait toujours (bien jaune) quand il lui arrivait de prendre un billet de parterre au collège; il disait que c'était exprès.
JE SUIS CHEZ MOI!
Ce cabinet est misérable, mais je n'ouvrirai cette porte qu'à qui il me plaira, je la fermerai au nez de qui je voudrai; j'écraserais dans la charnière les doigts de ceux qui refuseraient de filer, je ferais rouler au bas de cette échelle le premier qui m'insulterait, dussé-je rouler avec lui, si je ne suis pas le plus fort, ce qui est possible, mais on dégringolerait tous les deux.
JE SUIS CHEZ MOI!
Je r?de là-dedans comme un ours, en frottant les murs...
JE SUIS CHEZ MOI!
Je le crierais! Je suis forcé de mettre ma main sur ma bouche pour arrêter ce hurlement d'animal...
Il y a deux heures que je savoure cette émotion.
Je finis par m'étendre sur mon lit maigre, et par les carreaux fêlés je regarde le ciel, je l'emplis de mes rêves, j'y loge mes espoirs, je le raye de mes craintes; il me semble que mon coeur-- comme un oiseau--plane et bat dans l'espace.
Puis, c'est le sommeil qui vient... le songe qui flotte dans mon cerveau d'évadé...
à la fin mes yeux se ferment et je m'endors tout habillé, comme s'endort le soldat en campagne.
Le matin, au réveil, ma joie a été aussi grande que la veille.
Il venait justement un soleil tout clair d'un ciel tout bleu, et des bandes d'or rayaient ma couverture terne; dans la maison une femme chantait, des oiseaux piaillaient à ma fenêtre.
On m'a fait cadeau d'une fleur. C'est la petite Riffault à qui l'on avait donné plein son tablier d'oeillets rouges, et qui, voyant ma porte ouverte, m'a crié du bas de l'échelle: ?Veux-tu un oeillet, monsieur??
Je l'ai mis dans un gros verre qui tra?nait sur la table boiteuse.
C'e?t été une fiole de mousseline, une coupe de cristal, que j'aurais été moins heureux: dans le fond de ce verre je relisais les pages de ma vie de campagne et j'entendais vibrer des refrains d'auberge.
On avait de ces gros verres-là dans les cabarets de la Haute-Loire...
Quand je quitte la maison Riffault, lorsque je sors de cet h?tel, ce chez moi, je trouve la rue bourrée, pleine de monde et pleine de vie.
Je regarde l'heure dans une boutique, deux heures. Je me suis réveillé à huit, j'ai entendu l'horloge. Mais depuis lors, le bruit des horloges a été couvert par le bourdonnement de mes pensées et de mes rêves.
J'arrive chez Matoussaint. On me croyait mort, ou reparti, on ne savait que penser! ?Qu'as-tu fait tout ce temps-là?
?Et tu n'as pas faim?
--Non.?
Et c'est vrai, je n'ai pas faim. Une fièvre de liberté nouvelle m'a nourri et soutenu. Je consens pourtant à rompre le pain béni de la gaieté, si pain il y a. Il n'y a pas que la gaieté, et l'appétit.
Mais Truchet est peut-être revenu! Allons voir Truchet! Comme Mercadet[4] dit: ?Allons voir Godeau!?
Truchet est peut être revenu. Il a peut-être retrouvé le postillon. Il y a peut-être quarante francs qui attendent aux Messageries! Quarante francs, et ici nous n'avons pas de pain!
On reste pourtant jusqu'au soir dans le quartier parce qu'il y a quelqu'un qui doit apporter cinq francs. On atteint la nuit en l'attendant.
On est allé voir si Truchet était de retour.
--Dans trois jours.
Comment on a fait pour manger ces trois jours-ci, je ne sais pas. Mais on a mangé; seulement il a fallu du temps pour trouver, c'est un travail comme un autre de recueillir son d?ner dans la bohème et qui finit par être payé comme tout travail mais on ne peut faire autre chose et l'estomac ne passe à la caisse qu'à des heures irrégulières. La vie de nous tous passe à cela. Et il a fallu courir, engager, emprunter!
Ce n'est pas assez pour moi--et déjà je souffre de ce tapage en l'air, de
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